George Orwell, ou plutôt Eric Arthur Blair (car dans ce livre le personnage principal c'est lui), raconte ce qu'il a vécu sur le front d'Aragon, pendant un bout de la guerre d'Espagne.


Ce livre a l'immense mérite de balayer toute propagande mensongère. En effet, pas de discours pro-communiste ou pro-fasciste, simplement le témoignage d'un des nombreux étrangers qui ont participé de près ou de loin à cette guerre.


J'ai admiré Pour qui sonne le glas d'Hemingway et ce livre d'Orwell en est au moins un complément, voire une autre façon de raconter le conflit. Ici point de roman, juste des faits véhiculés par un journaliste. Parfois le journaliste prend une liberté de ton et va plus loin que ce que sa mission lui permet.



En théorie c'était l'égalité absolue, et dans la pratique même il s'en
fallait de peu. En un sens, il serait conforme à la vérité, de dire
qu'on faisait là l'expérience d'un avant-goût de socialisme, et
j'entends par là que l'état d'esprit qui régnait était celui du
socialisme. Un grand nombre de mobiles normaux de la vie civilisée -
pose, thésaurisation, crainte du patron etc - avaient absolument cessé
d'exister. L'habituelle division en classes de la société avait
disparu dans une mesure telle que c'était chose presque impossible à
concevoir dans l'atmosphère corrompue par l'argent de l'Angleterre :
il n'y avait là que les paysans et nous , et nul ne reconnaissait
personne pour son maître. Bien entendu, un tel état de choses ne
pouvait durer . Ce fut seulement une phase temporaire et locale dans
la gigantesque partie qui est en train de jouer sur toute la surface
de la terre. Mais il dura suffisamment pour avoir une action sur tous
ceux qui le vécurent . Sur le moment, nous pûmes bien jurer et sacrer
violemment, mais nous nous rendîmes compte après coup que nous avions
pris contact avec quelque chose de singulier et de précieux. Nous
avions fait partie d'une communauté où l'espoir était plus normal que
l'indifférence et le scepticisme.



Orwell arrive à nous immerger dans un présent, le sien, qui presque un siècle plus tard, nous paraît encore si actuel. Il ne faut pas de grandes notions d'Histoire pour comprendre où il veut en venir, pour que l'on soit plongé dans son aventure espagnole. Et l'on touche du doigt tous les enjeux politiques et sociétaux d'une époque. Une époque où le communisme (ou plutôt le stalinisme), le fascisme, le capitalisme s'affrontent durement, avec des forces égales et une même envie féroce de conquérir le monde. Presque un siècle plus tard, un seul courant parmi ses trois, le capitalisme, a terrassé toutes les autres formes de penser le monde. Mais ça, Orwell ne l'avait pas vu venir.


Orwell a fait ce qu'il savait faire de mieux : raconter son monde. Et après 250 pages de mots sur une guerre étrange et cruelle, notamment pour le POUM (Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) dont Orwell est membre et combattant en son sein, il devient poète et évoque ses sens :



Tout pour moi est étroitement mêlé à des visions, des odeurs, des
sons, que les mots sont impuissants à rendre : l'odeur des tranchées,
dans les montagnes les levers du jour sur des horizons immenses, le
claquement glacé des balles, le rugissement et la lueur des bombes; la
pure et froide lumières des matins à Barcelone, et le bruit des bottes
dans les cours de quartier, en décembre [1936], au temps où les gens
croyaient encore à al révolution, et les queues aux portes des
magasins d'alimentation , et les drapeaux rouge et noir, et les
visages des miliciens espagnols [ses amis], surtout les visages des
miliciens.



Outre cette magnifique écriture, je dois préciser que ce livre explique beaucoup. Il permet d'apprendre les éléments de cette guerre. Ce n'est pas un roman. Alors il ne faut pas y chercher de l'action ou de la romance. Orwell a vécu peu de péripéties (et encore je ne suis pas sur), mais était au cœur du volcan espagnol.

PaulNino
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le 8 mars 2021

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