Impact
6.9
Impact

livre de Olivier Norek (2020)

C'est toujours la faute des autres ...

Paris, quelque temps après la fin de la pandémie. Virgil Solal, ancien militaire reconverti en écoterroriste, vient d’enlever le PDG de Total. A la place de la rançon traditionnelle, il exige une sorte de caution qui sera rendue au groupe s'il s’engage à mettre au point des stratégies de protection de la planète. Comme « on ne négocie pas avec les terroristes », Total refuse le deal, avec pour le PDG les conséquences que l’on devine. Entretemps, un flic chevronné et une profileuse aux phobies multiples reçoivent pour mission d’entrer en contact avec le justicier de l’environnement qu’il s’agira ensuite de stopper coûte que coûte. Leur tâche n’est pas aisée, vu l’intelligence et le charisme du personnage : si notre homme est déterminé à se faire entendre et n’hésite pas à tuer pour y parvenir, il maîtrise aussi parfaitement sa comm : la population le soutient, déclinant son image (un panda balafré) en milliers d’exemplaires lors de manifestations monstres, répercutant à coup de milliers de tweets chacune de ses paroles.


Des paroles dans lesquelles il y a du vrai, il faut bien l’avouer : eh oui, l’Etat ne tient pas les promesses faites lors des accords de Paris, il noie le poisson malgré l’évidence de l’urgence climatique, tergiverse en dépit des légitimes inquiétudes d’un peuple qu’il infantilise, espérant que les forces de l’ordre pourront encore une fois contenir la colère qui gronde. Alors, Solal doit être arrêté, et plutôt mort que vif car pour l’Élysée comme pour la DGSI, pas question de fournir à ce nouveau messie une tribune lors de son procès, de se farcir un soulèvement populaire écolo après avoir essuyé la révolte des Gilets jaunes et les manifs contre le pass sanitaire. Mais Solal n’est pas du genre à se laisser piéger facilement, d’autant plus que les deux agents chargés de le mettre en confiance en viennent à douter de la légitimité de leur démarche.


Si la première partie du roman tient le lecteur en haleine et fait mouche par une certaine pertinence dans son analyse, il faut bien avouer que la suite est plutôt décevante. La plaidoirie écologiste y prend toute la place, réduisant l’action proprement dite à la portion congrue. Le ton devient franchement didactique (et c’est assommant) : Solal étant clairement le porte-parole de l’auteur, le discours se radicalise et tente même de justifier l’injustifiable au nom de l’urgence environnementale et d’une désobéissance civile qui entend légitimer la violence la plus extrême. Et sans trop dévoiler l’intrigue, je gage que les juristes qui tomberont sur certains passages hésiteront entre le sourire et l’exaspération.


Le roman se termine par la description trop sommaire et peu crédible d’une communauté utopiste dont les procédés diffèrent de ceux de Solal tout en préservant ses objectifs. Mais cet écocomplexe, selon les dires de leurs fondateurs


(dont font évidemment partie les deux agents anciennement chargés d’établir le contact avec Solal et désormais acquis à sa cause)


n’aurait pas pu voir le jour sans l’action de leur mentor. Perso j’ai du mal à m’imaginer que l’intervention même hyper médiatisée d’un seul homme, quel que soit son pouvoir d’attraction, puisse ainsi aboutir à l’éveil des consciences dans le monde entier et provoquer un changement de mentalité aussi radical. Sans compter que les solutions envisagées sont plutôt naïves et qu’il n’est jamais vraiment question des renoncements drastiques auxquels nous devrons bien être confrontés un jour ou l’autre. Tout se passe comme si, une fois les vilains grands méchants écartés, les citoyens lambda que nous sommes pouvaient continuer à vivre et consommer presque comme avant (on prend le train et on utilise les téléphériques mais on peut toujours voyager, ouf !) profitant d’une énergie verte quasiment illimitée, dans un idyllique retour à une nature retrouvée.


C’est d’ailleurs ce simplisme et ce manichéisme qui m’ennuient le plus dans le combat de Solal, et partant dans l’idéologie qui sous-tend ce récit : les méchants, ce sont toujours les autres, rois de la finance, industriels avides, politiciens corrompus. Donner à penser qu’il suffirait que quelques philanthropes éclairés les remplacent et financent l’énergie propre en mettant au point des plans d’action de sauvetage des espèces dans un processus qui ferait tache d’huile, sans que soit radicalement modifié le mode de vie de l’ensemble des humains et surtout des privilégiés dont nous faisons partie, c’est démagogique et malhonnête. Le libéralisme économique que conspuent ceux qui le considèrent responsable de tous les maux de notre terre n’est que la facette la plus radicale de ces libertés et de ces privilèges auxquels nous aussi nous tenons tant, notamment en matière de consommation et auxquels nous renâclons à renoncer alors qu’ailleurs sur la planète d’autres subissent déjà de plein fouet les conséquences de l’inaction collective. Plutôt que de désigner des coupables dont les têtes doivent tomber et tenter ainsi d’échapper à nos propres responsabilités, ne vaudrait-il pas mieux nous résoudre tous autant que nous sommes à affronter la réalité, à relever ensemble les défis colossaux qui nous attendent, à repenser notre contrat social à l’échelle planétaire en tenant compte des contraintes environnementales et sans plus nous chercher d’excuse ?

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le 1 sept. 2021

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No_Hell

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