"Indignation" fut mon premier contact avec ce grand auteur qu'est Philip Roth, un auteur qui est admiré par de nombreuses générations et pour de nombreux points. Etait-ce la bonne porte d'entrée pour moi? Je le crois sincèrement, oui, car cette lecture fut vraiment très agréable.
L'histoire est assez bien résumé dans la quatrième de couverture. C'est un récit initiatique que l'on lit ici, type de récit qui me tient décidément très à coeur. On suit donc les (més)aventures d'un jeune homme juif, Marcus, au début des années 50. Nous sommes entre deux époques, entre deux pensée. On sent les débordements extravertis de notre époque sous-tendre un monde encore très conservateur et attaché à des manières que les jeunes ont du mal à percevoir. Pourtant, ce n'était pas le cas de Marcus au début. Effectivement, il est plutôt quelqu'un d'exemplaire, mais c'est aussi ce qui causera sa perte. Sa bonne éducation et son ardeur à suivre les ordres et règlements l'auront tenu à distance de certaines épreuves de la vie, et c'est évidemment lorsqu'il s'isole de ses parents, dans une université à quelques centaines de kilomètres, qu'il apprend tout cela. A ses dépends, nous nous en doutons dès le début.
Alors ce livre est obsessionnel. Véritablement. Les angoisses de Marcus lui font vivre un calvaire alors que le mond eautour de lui le pousse sous le feu des projectyeurs et dans cette violente mêlée qu'est la vie. Au milieu de tout cela, la peur d'échouer ses études et de décevoir ses parents. La peur d'être viré de l'université et envoyé en Corée pour faire la guerre, à des troupes d'asiatiques criant, ne connaissant pas la peur et soufflant dans des cors invoquant la mort. Marcus est toujours tiraillé (chose normale dans un récit initiatique). Et en opposition, ses désirs, qui sont tout aussi puissants. Cette fille qu'il rencontre et qui lui ouvre des portes vers l'infini et l'éternel, qu'en faire?
Indignation est aussi le chantre du fatalisme. Marcus sait toujours qu'il se jette dans un piège, que l'action qu'il exécute ne le mènera nulle part ailleurs qu'en Corée. Et pourtant, il la fait. Il y a une chose étrange qui se produit lorsque l'on tente de s'identifier à Marcus. Sa vie semble être en perpétuel déséquilibre. C'est comme si l'on percevait dès le début l'imminence d'un drame, comme si la situation ne pouvait fonctionner comme cela. Rien n'est stable et rien ne peut convenir. Tout doit changer, et changera.
Et il y a évidemment la spécificité du narrateur. Je n'en dirai rien, car je ne veux pas gâcher ce plaisir et cette surprise qui arrive assez tôt dans le roman et perd son mystère dans les dernières pages. Marcus est un narrateur toujours honnête. Ce livre est un peu la destruction des certitudes, en vérité. Marcus est plutôt sûr de lui au début du roman, sait ce qu'il veut et compte bien se résoudre à suivre son chemin de foi. Et pourtant, au cours des pages et des remémorations, Roth détruit cela impitoyablement. Ce livre parle donc de la vie et de ce que l'on peut en retirer lorsqu'on cherche à se tisser des destins, lorsque nos yeux, plutôt que d'être attirés vers la surprise et la réaction, demeurent scotchés à des certitudes personnelles. Il y a une vraie rage dans "Indignation", et cela se ressent très souvent dans l'écriture. Roth ne peut s'empêcher d'éclater, parfois, contre cette vie insensible aux effortds des hommes pour y tracer un chemin paisible. A la fin on a cette sorte d'impression que Roth a été le témoin d'une histoire, qu'il a retranscrite à l'exactitude, et qu'il est révolté.
Les attaques à la vie sont dures, et c'est sans amortissement que l'on se prend cela dans les rotules. J'ai personnellement été désespéré la soirée suivant la fin de ma lecture. Du désespoir bien réel. Tout semblait si peu harmonieux, si peu accordé. Si cruel. Une sorte de cauchemar sur une époque que beaucoup de jeunes, aujourd'hui, fantasment pour un charme désuet qui se révèle être ici de la merde ambulante.
Il y a bien des leçons à retirer d'"Indignation". Mais toutes peuvent être résumées en une seule grosse idée: il faut à toux prix se méfier de la vie, qui ne fait que peu de cadeaux. Les étincelles de joie et de plaisir dans la vie de Marcus semblaient toujours le plonger, en finalité ultime, dans le pétrin. C'est certainement du au fait du manque d'aguerrissement de Marcus. Il pensait connaître la vie, mais c'était une grave erreur. Sa naïveté et la perte des repères initiée dès le début par le bouleversement comportemental de son père l'entraîneront loin dans ses propres cauchemars.
Et c'est avec un calme des grands instants que nous suivons sans un mot cette vie condamnée par la souffrance à ne jamais comprendre son essence. Et nous sommes, au fond de nous, terrifiés.
J'ai mis le doigt sur quelque chose, là.
"Indignation" m'a en fait terrifié. Certainement les marques d'un grand auteur...