Version Originale. Gerald's Game est le premier roman de Stephen King que j'ai l'occasion de lire et il constitue une découverte agréable du style de l'auteur à succès, même si j'éprouve une légère déception quant à sa conclusion sur laquelle je reviendrai en fin de critique.


Le style littéraire de King est très particulier. Loin des modèles académiques et des tournures de phrase alambiquées, l'écrivain propose un style plus direct, plus accessible (plus fleuri aussi) mais malgré tout riche en matière de vocabulaire. Les métaphores et les comparaisons sont tantôt surprenantes, tantôt humoristiques, mais réussissent toujours à véhiculer le propos de l'auteur. Et c'est bien en ça que réside tout le talent de King, fabriquer une image précise, quasi cinématographique de la scène et de l'ambiance — rien de surprenant qu'il ait adapté tant de ses œuvres au cinéma — plongeant ainsi le lecteur dans l'angoisse de la situation, puis l'euphorie de son dénouement. Le style d'écriture est par ailleurs très fluide et l'on a du mal à décrocher tant l'ambiance est présente et l'histoire bien construite. C'est dans la manière dont les rêves sont décrits et pensés que King dévoile son talent pour le fantastique et l'horreur, en faisant véritablement appel à des symboliques tordues semblant défier la logique consciente, ce que peu d'auteurs parviennent à faire correctement.


On peut reprocher deux choses à l'écriture de King : premièrement, de rares répétitions — sans nul doute pour l'effet de style, mais assez dérangeantes quand même — et deuxièmement une étrange habitude à placer des incises à la limite de la didascalie dans lesquelles l'auteur décrit un fait parallèle à l'action en cours. Ce comportement (peut-être restreint à cette œuvre) est très intéressant lorsqu'il s'agit de décrire une pensée fugace du personnage principale, créant une sorte de seconde voix qui s'entremêle à la première, mais très déstabilisante quand il s'agit d'une remarque ex nihilo du narrateur qui vient briser l'immersion. Somme toute, cette variation précise n'est employée qu'une ou deux fois dans le roman.


L'histoire de son côté, se révèle très timidement. L'élément modificateur prend place très tôt dans l'intrigue, mais le lecteur reste incapable d'anticiper la tournure que cette dernière va prendre pendant longtemps. King parvient à nous présenter une histoire solide et bien construite tout en donnant l'impression que celle-ci se déroule devant nos yeux à vitesse réelle, nous laissant dans l'expectative et créant une véritable atmosphère anxiogène. Nul part le lecteur ne sent la main d'un deus ex machina orchestrant un scénario cousu de fil blanc, ce qui est fort appréciable. Je regrette d'ailleurs la traduction française déplorable du titre de l'œuvre qui vient un peu gâcher tout cela. En effet, le titre original semble placer Gerald au centre de l'histoire alors que la version française révèle d'ores et déjà que celle-ci tournera autour de Jessie...


Dans l'absolu, le roman est très agréable à lire, prenant, avec une histoire tout en symbolique et en psychologie qui fait office d'une intéressante réflexion sur la condition féminine ; il y a fort à parier que King se soit considérablement documenté pour mener à bien cette introspection qui lui échappe de facto en tant qu'homme. La légère déception que j'évoque en début d'article n'est pas dramatique, mais modifie de manière assez importante l'image que je me suis contruite de l'histoire au fur et à mesure, preuve que rien n'est jamais acquis avec King et que ce dernier sait cacher son jeu. Il s'agit d'une déception non pas parce que ce renversement final est mal amené ou illogique mais parce qu'il réduit un peu la portée psychologique du roman. Je vais entrer dans le détail, mais la suite de cette critique est bien sûr réservée à ceux qui ont déjà terminé le roman.


SPOILER


L'histoire déroule un florilège de symboles dont se délecteraient n'importe quel psychologue. Il y a bien sûr le simple fait de se retrouver attacher ici, dans une maison près d'un lac qui reflète la situation psychologique de Jessie toujours menottée à ce fameux jour de l'éclipse. On pourrait également évoquer la schizophrénie (empirante) du personnage, la symbolique des rêves, des musiques tantôt circonstancielles (can I get a witness?) tantôt prémonitoires (specter of love), mais tout ceci pâlit face à la puissance métaphorique de cet étranger qui surgit dans la nuit. Brièvement identifié au père avant d'entrer dans une justification plus fantastique de la part de Jessie, l'on retrouve ici une symbolique très caractéristique de l'abus qu'à vécu le personnage : l'alien, difforme et effrayant apparaissant sous forme de terreur nocturne. Il serait possible de trouver d'autres symboles à interpréter dans ces passages du livre, jusqu'à ce panier rempli d'os et de bijoux de famille...


Mais, révélation ultime, cet étranger n'est pas le fruit de l'imagination de Jessie. Bien sûr la symbolique existe toujours, mais elle se déplace plus au niveau du roman que du personnage et je trouve qu'il est dommage de perdre le plus gros symbole psychologique d'une histoire magnifiquement travailée de ce point de vue au profit d'un twist de thriller, comme si King, piégé par sa popularité de maître de l'horreur, c'était interdit de trop s'éloigner de ce genre de craindre de perdre son public.

Xunkar
7
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le 6 juin 2015

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