Kaputt
8.2
Kaputt

livre de Curzio Malaparte (1944)

"Mon écrivain préféré c'est Malaparte. Curzio Malaparte ! Et s'il y a un livre que tu dois lire, c'est Kaputt."


Ces derniers temps je demande aux gens de me soumettre des idées de romanciers que je ne connais pas afin d'étendre mon champ littéraire. Et je note leur nom sur mon smartphone (j'ai aussi une liste pour les réalisateurs et les groupes de musiques) pour pouvoir ressortir les livres conseillés lorsque je me retrouve à la bibliothèque des Champs Libres. Ici, le conseil venait de David, le barman du bar La Cour des Miracles. Et je vais sans doute le remercier la prochaine fois que je le verrais.


Le prologue pose le ton du livre : Écrit entre 1941 et 1943 alors que Malaparte est correspondant de guerre à différents endroits (l'Ukraine, la Finlande puis l'Italie) le manuscrit est alors caché dans un mur creux de la maison de paysans, puis cousu dans la doublure de la veste de l'auteur avant d'être divisé en trois par différents notables (dont un comte et un prince) pour voyager incognito vers l'Italie et être publié après la chute de Mussolini. Rien que dans le prologue, l'histoire MEME du livre est dingue.


Sur le coup, je me suis demandé pourquoi un comte et un prince, issue de nations alliés à l'Allemagne hitlérienne se donneraient tant de mal pour que soit publié un roman qui à ce que j'ai compris, était hostile au IIIe Reich. La réponse m'a été donné durant la lecture du livre qui dresse un portrait de Curzio Malaparte, italien, dandy et journaliste, ce qui lui a permis de passer aussi bien du front de l'est que vers les différentes ambassades et de pouvoir voir à la fois les horreurs de la guerre et de rencontrer le soir même (ou bêtement dans l'ascenseur) ses principaux instigateurs et de se retrouver à rire avec eux.


La guerre y est d'ailleurs secondaire : ça n'est pas un récit "de" la guerre, mais des récits de vie se passant durant la guerre. Chose qu'il précise dans son prologue en expliquant aussi que son livre est à la fois "gai et cruel" et c'est effectivement le cas.


Le livre est à l'image de sa quatrième partie, dans laquelle il discute avec deux allemandes dans un restaurant et se met à leur raconter des récits de ce qu'il a vu. Alors qu'il précise à chaque fois que son anecdote va être mignonne (ou "chrétienne") il leur raconte tantôt des récits horribles (des juives forcées à se prostituer pour les soldats allemands, des yeux énuclés par panier entiers) tantôt des récits adorables (un homme qui sème des cadeaux au sol pour que ses enfants ne soient pas traumatisés par les bombardements) et tantôt une histoire dont la chute est tellement exagéré qu'on voit qu'il se fout de leur gueule.


Tout y est comme cela : on a le droit à des moments horribles avec des prisonniers de guerre tués, des gens abattus comme des chiens, un pogrom et le ghetto de Varsovie, à des descriptions de paysages sublimes en passant par des histoires à la tonalité plus comique (le chien ayant peur des explosions) plus engagées ou plus contemplatives (l'histoire d'un cerf mourant devant le palais du président) et à plusieurs moments on se demande s'il a vraiment vécu tout ça, s'il en rajoute sur des choses qu'on lui a raconté ou s'il raconte n'importe quoi.


Si Malaparte a été traité d'affabulateur après la guerre quelques analyses historiques et des recherches sur wikipédia vous apprendrons qu'il était très proche de la réalité (même s'il ne l'a peut-être pas vécu tout à fait comme cela...) Mais du coup, cela rend son livre encore plus prenant. Après un début d'une trentaine ou cinquantaine de pages où j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire (la partie "Les chevaux" principalement) je suis resté captivé par Kaputt. Et contrairement à un Primo Levi où je ressentais parfois le besoin de reposer le livre afin de digérer la noirceur du témoignage, il y a ici un changement de ton permanent ou après une anecdote horrible se trouve une description de paysage ou une scène de beuverie qui permet de continuer à accrocher au livre.


Une fois le livre fini, on se retrouve à se demander si on a ressenti du dégoût ou du plaisir à ce qu'on a lu. Parfois l'un et parfois l'autre. Le génie de Malaparte est là.

le-mad-dog
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le 2 mai 2016

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