Touche pas à ma prostate ou l'ablation?

Témoignage, récit, écrit pour le compte d'autrui, fiction d'un tu-meurs, roman d'une prostate? peu importe le classement, ce livre est une approche salutaire de la maladie.

Tahar Ben Jalloun on le connaît bien et on l'apprécie. Le narrateur, chercheur en mathématiques, on ne sait pas qui c'est ou en tout cas avant de faire sa connaissance avec ce livre. Tous les deux nous donnent à lire et à connaître ce combat, cette odyssée, ce chemin de croix qui est le défi du cancer de la prostate pour un homme.

Le romancier est devenu écrivain public, et nous explique comment «...lorsqu'un ami, qui avait été opéré de la prostate, m'a demandé d'écrire son histoire. J'ai hésité au début, j'ai proposé de l'aider, mais il disait que seul il ne saurait jamais le faire...». Cependant le propos est tellement juste que l'Auteur se confond avec le Narrateur!

Et ce livre devient alors une sorte de journal intime, par procuration, d'un lutteur, d'un résistant qui fait face à l'adversaire avec courage, volonté de le décortiquer, de savoir comment l'affronter tout en découvrant progressivement les conséquences, les effets qu'on dit secondaires et pourtant déterminants. Les risques et l’inéluctable des troubles urinaires et sexuels, peut-être à vie. Il y a les moments de découragement, les signes dépressifs, l'envie de s'en sortir, le refus de la perte de sa libido, la peur de ne plus bander, la certitude de ne plus avoir une érection sans intermédiaires chimiques, pilules, piqûres et même ça n'est pas garanti, à l'usage cela se révèle inefficace.

De l'intérieur des cabinets médicaux, des lieux des examens, de la salle d'opération, nous traversons les couloirs des hôpitaux, nous nous empreignons de ce climat, de ces odeurs, mais aussi et surtout de l'intérieur du narrateur. «Ah, ça se voit tant que ça?» et pourtant la prostatectomie radicale c'est dedans, pas comme chez une femme le cancer du sein. Ils, narrateur-l'auteur, ne nous cachent rien, ne nous épargnent de rien, «je ne bande plus», le port des couches, l'incontinence, mal à l'anus suite aux examens ou à la radiothérapie... Nous y sommes avec lui, traversons sa vie, ses amours, ses désirs, le deuil de sa femme, décédée il y a quelques années ayant eu l'ablation d'un sein.

Apprenons aussi qu'Ernest Hemingway s'est suicidé parce qu'il ne bandait plus et César Pavese parce qu'il était un éjaculateur précoce. Les idées noires l'envahissent, l'angoisse, la peur, mais il n'est pas du genre à mettre un terme à sa vie de cette façon.

L'ambivalence du patient, la tentation d'internet qui révèle tout et n'importe quoi sur les maladies... On évoque le débat entre ablation ou curiethérapie, on s'interroge sur le besoin de plusieurs avis, et on pourrait chercher d'autres voies, les charlatan-indien n'étant pas si caricatural que cela, ils existent bien et pas toujours de bon conseil. Mais ce n'est pas l'objet du livre. Il s'agit ici de partager un regard sur..., et avec empathie apprendre à mieux le voir peut-être même à nous donner des clés dont chacun se saisira à sa guise.

Ben Jalloun a su, avec sa qualité d'écriture, permettre que le Narrateur exprime tant de vérité, tant de juste pudeur-en-liberté pour ne rien occulter, faisant en sorte que l'indicible trouve ses mots: que tant d'empêchements, de non-dits fréquents dans ces circonstances soient reconnus autour de soi. Le professeur d'urologie, JF, ami du Narrateur, a eu raison d'insister auprès de l'Auteur pour qu'il raconte l'histoire de ce patient, il «rendrait service à beaucoup de gens, et pas uniquement aux hommes qui subissent l'ablation de la prostate, mais aussi à leur entourage, leur femmes, leurs enfants, leurs amis, qui ne savent comment réagir».

Il me semble que si l'Auteur a pu, su, voulu, exprimer tout cela, c'est parce que le Narrateur a «l’étoffe» pour rebondir, pour aimer, désirer l'Autre, une femme, un homme, sa compagne, son compagnon, au-delà des stéréotypes ou des représentations, faisant un bras d'honneur à son PSA*. Là où la tendresse donne sens à la vie!

* PSA: examen de référence pour faire le diagnostic de cancer de la prostate.

http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/190114/touche-pas-ma-prostate-ou-lablation
ArthurPorto
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le 20 janv. 2014

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