C'est un livre qu'on m'avait donné à lire au lycée et que je n'avais pas dû lire, ou qui ne m'a pas marqué. Peut-être qu'à l'époque je n'avais pas eu suffisamment l'occasion de mentir, d'embellir, de subir des responsabilités pour que le l'oeuvre m'accroche.
C'est un livre sur le mensonge.
Il démontre à quel point le mensonge peut sauver le psychisme, remplacer le vide.
Romand n'est personne, mais dans le regard des autres il est quelqu'un, et cela suffit à son équilibre mental, ou au moins à l'apparence d'équilibre, qui est peut-être la même chose. C'est le facteur de risque, je pense, du mensonge. Car sans chute, personne ne se rend compte qu'on marche sur une corde tendue au dessus du vide.
Le mensonge sauve Romand du vide identitaire que constitue son existence. Il l'épargne du feu du regard des autres, qu'il imagine plus qu'il ne le vit.
Si le mensonge nous sauve, la vérité devient l'adversaire, car elle nous en prive.
Le récit commence doucement puis ça va crescendo et nous emporte, via une écriture dépouillée, dans les méandres de cette histoire jusqu'à finir par les homicides finaux, le procès et puis le refuge de Romand dans la religion.
La religion prend une place importante dans cette oeuvre. La religion est un autre de ces mensonges salvateurs qui permettent à Romand de se pardonner. Romand dit savoir sa famille au ciel, au Paradis, à l'attendre. La religion est celle qui pardonne, qui tend la main, tout comme les pieux amis de Romand emprisonné. C'est aussi le refuge du condamné, qui se sent par elle connecté aux autres, qui peut se construire à travers elle.
C'est aussi peut-être elle qui lui a permis ses meurtres. Mourir, selon les croyants, c'est déplacer son âme de son enveloppe charnelle au royaume des cieux. En tuant sa famille, il les épargne d'apprendre son mensonge tout en les envoyant au Paradis. C'est du moins ce qu'il prétend. Mais est-ce vraiment ce qu'il croit ? Ou n'est-ce qu'une façon de justifier ses actes tout en se créant une nouvelle identité, encore fragmentée par la ferme condamnation que fait la religion de l'homicide ?
Romand dégoûte le lecteur. Il est "veule et sentimental", parfois un peu comme nous. Depuis le lycée j'ai eu le temps de me complaire dans des relations sans lendemain, de faire croire que j'avais des sentiments, faiblement et avec faiblesse, pour le plaisir. J'ai eu le temps de mettre en place des projets que j'ai seul choisis. Sans excuses, je ne suis pas pour autant devenu beaucoup plus consciencieux. Je suis en retard pour mon mémoire mais je procrastine. Je me sens comme Romand, avachi dans mon lit. Je me dis que mes camarades de classe croient que je travaille. C'est peut-être ce que cette histoire réussit de plus fort. Humaniser une personne qui nous paraîtrait monstrueuse. Est-ce un crime ou une prière ?