Lente et inexorable descente au coeur de l'horreur

La curiosité m'a amené à lire Lovecraft (et en particulier l'affaire de Charles Dexter Ward), auteur dont je n'avais que très vaguement entendu parler auparavant, et qu'il m'a été donné de (re)découvrir grâce aux critiques souvent positives qui ont été faites de son œuvre sur ce site. Ayant envie d'autres horizons, je me suis plongée dans cette nouvelle écrite par celui que d'aucuns n'hésitent pas à appeler le « maître de l'horreur », me disant qu'après tout, si je devais lire un récit de ce genre une fois dans ma vie, autant ne pas y aller avec le dos de la cuillère et taper directement dans le cœur du sujet, commencer avec la crème de la crème.

Je suis entrée dans cette œuvre, n'étant pas bien sûr ni de ce que j'étais venu chercher ni de ce que j'allais y trouver. Et me voilà bientôt propulsée au cœur d'une enquête concernant Joseph Curwen et son descendant, Charles Dexter Ward. Les détails abondent, les faits sont décrits avec minutie, les descriptions sont d'une précision chirurgicale, les témoignages sont frappant de réalisme. Peu à peu, et malgré l'impatience que cette phase-là, tout en pointillés, peut générer, l'univers de Lovecraft émerge, prend forme... et se développe monstrueusement ; de terribles liens se nouent entre passé et présent, entre Joseph Curwen et Charles Dexter Ward, le tout dans une atmosphère étrange et pesante...

Il n'est cependant pas question dans cette nouvelle d'explosion de terreur, de descriptions outrancières, de membres déchirés et sanguinolents, mais bel et bien d'une formidable, lente et inexorable montée en puissance de l'horreur que le lecteur voit s'inscrire lentement mais sûrement dans le réel, imprimant toujours plus profondément sa marque surnaturelle. Page à page, une terreur sourde, une tension, un trouble mystérieux et indescriptible s'empare du lecteur qui découvre de monstrueuses atrocités dont il ne veut pas entendre parler mais dont l'existence ne cesse de se confirmer. L'indescriptible y est suggéré par l'empreinte qu'il laisse sur les visages des malheureux qui l'ont vu et qui n'osent en témoigner. Le lecteur effleure le mystère, le pénètre peu à peu, prenant son courage à deux mains tout en craignant de découvrir ce dont il se doute déjà.

Pour peu qu'on soit familier (même de loin) du genre, tous les ingrédients sont réunis : les ténèbres de la nuit, les cimetières et les inévitables viols de sépultures, les souterrains lugubres, les alchimistes et leurs fioles, l'occultisme, les monstres innommables, etc. Pour autant, l'explication finale est tout de même parvenue à me surprendre, même si beaucoup de choses étaient attendues et qu'on comprend très tôt ce qui se trame (cela n'ôte cependant en rien le charme et la puissance d'évocation de cette nouvelle).

Bref, je garderai le souvenir d'une nouvelle pesante (j'ai mis du temps à rentrer véritablement dans l'œuvre et à m'habituer à l'atmosphère oppressante qui y règne) mais irrésistible (j'ai toujours été mystérieusement amenée à poursuivre malgré tout la lecture, fasciné par l'horreur qui se développe presque comme un organisme vivant, naturellement et inexorablement, tout au long de la nouvelle). Lovecraft a eu le mérite d'attirer et de fixer mon attention jusqu'au bout, m'entrainant péniblement, pas à pas, dans les plus noires ténèbres sans que je puisse le moins du monde y résister...