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Quand on se met à chercher le pourquoi des choses, on devient spéléologue face à un dédale de galeries se croisant et se séparant au gré du hasard. Je ne parle même pas du pourquoi métaphysique de l'être. Non, je parle d'un pourquoi concret. Pourquoi cette courbe dans le tracé d'un chemin de fer, par exemple. Pourquoi cette ville est-elle si grande. Pourquoi telle mouvance politique fut si prospère.
Aurélien Bellanger est de ceux qui se posent ce type de questions sans s'effrayer devant l'ampleur de la tâche. Car une réponse à un Pourquoi concernant les choses de l'histoire et des sciences convoque mille autre questions.


L'art de voir la complexité
Ce roman vous emmène dans les coulisses de ce que l'observateur sans curiosité considère comme acquis, soit derrière l'état de fait. Et il n'a pas peur de se relever les manches.
Comment une simple aiguille peut multiplier les performances d'un moteur, comment le moteur élance une voiture, comment le véhicule arpente une route, les faits industriels et les questions politiques qui ont décidé du tracé de cette route, les raisons qui ont permis à cette route d'exister au détriment d'une autre voie de communication, les évolutions historiques qui firent ces raisons, et en bout de chaîne un accident mortel. L'aiguille, la mort, et au milieu une foule de pourquoi à décortiquer.
Et ce survol d'une péripétie du récit (indigne du brio avec lequel ce roman illumine et dissèque les événements qu'il met en scène) n'est qu'un exemple de son ambition colossale.


C'est à croire que le récit ne parvient pas à avancer, toujours rattrapé par une digression scientifique ou historiographique. Et dans les méandres de ce labyrinthe du savoir, où chaque étape est une pierre patiemment polie posée pour jalonner le chemin, la vérité se dévoile : cette exploration du génie humain (comprendre ici le génie au sens des ouvrages, pensées et techniques) est aussi la grande histoire de ce roman.


Je dis bien aussi, car il y a une histoire plus classique (comprendre ici classique dans le sens de traditionnel au roman), disséminée dans l'écheveau. Une histoire de machination et de complot historique comme on en lit rarement, d'une intelligence et d'une complexité délicieuses.
Elle prend donc son temps, cette histoire, avant de soudain se retrouver au confluent des longs cours qui l'alimentent et de déployer toute sa superbe dans un dernier acte haletant. Et pour peu qu'on accepte cet exercice de style architectural, on ne lui en veut jamais et réclame sa prochaine part de savoir.


Des vertus de la curiosité universelle (ou universitaire)
Ainsi on passe de la géographie à l'aménagement humain du territoire, de la préhistoire à la géologie, on brasse la sociologie et la géotechnique avec la physique nucléaire, on vogue de la dérive des continents à la création du ballast, des mouvances altermondialistes aux activistes indépendantistes, des interprétations historiques à l'archéologie préventive, de l'effet psychique des drogues douces à l'exégèse des théories du complot... Tout cela par le biais du récit de vies lancées à toute allure vers des destins romanesques ou désespérés comme autant de train propulsés à l'assaut de la toile d'un réseau de fer.
On sent qu'on pioche dans les meilleures pages des meilleures thèses universitaires pour en extraire une matière abordable sans la défaire de la rigueur et de la méticulosité de ceux qui les ont produites.


Il y a les profs qui vous donnent la leçon, puis il y a ceux qui vous font sentir plus intelligent. Si ce roman s'attaque à de telles altitudes, c'est bien pour nous y élever. Tout y est métaphore éclairante, anecdote savoureuse, démonstration concise.


Des frontières pour l'émotion
Certes, cette érudition académique a ses revers ; peut-être une certaine barrière vers l'empathie pour les personnages, une distance qu'il est parfois difficile de rattraper (j'insiste sur le "parfois"). Comme une froideur dans le ton. Et les émotions affleurent mais ne s'épanouissent pas toujours.


La rançon d'une telle exigence, faut-il croire. L'Aménagement du territoire demeure une lecture à part, par son art de la surprise et du questionnement. On croit à un contournement permanent, alors qu'il n'y a que des fondations patientes. Et un regard assoiffé de découvertes d'une objectivité désarmante, quoiqu'il aborde.

Oneiro
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le 22 févr. 2020

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Oneiro

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