Il y a des romans qui donnent l'impression de vous poursuivre toute votre vie et "L'amour aux temps du choléra" en fait certainement partie en ce qui me concerne. Déjà, au collège, en cours d'espagnol, il était cité avec "Cent ans de solitude" par les profs énamourés de littérature hispanique comme cela se doit, et alors que je m'essayais péniblement de lire, déchiffrer et traduire des extraits de ces romans tant vantés, quelque part, ils me faisaient peur, peut-être comme font peur aux élèves tous les livres étudiés en classe ?
Toujours est-il que "L'amour aux temps du choléra" me faisait un peu peur pour cette raison mais comme il y a quelques années, j'avais déjà succombé aux charmes envoûtants du réalisme magique de "Cent ans de solitude" que je considère comme l'un des plus grands romans que j'ai lus jusqu'à présent, j'étais tout de même assez confiante en entamant ma lecture.
Le choléra... encore une maladie épidémique implacable. N'allais-je pas me tirer une balle dans le pied avec ce récit dramatique d'un amour impossible qui s'étend sur plus de cinquante ans dans le cadre mi-réaliste mi-fantastique d'une Carthagène allégorisée ? Et bien non. La même magie que pour "Cent ans de solitude" a opéré et même si "L'amour aux temps du choléra" n'est pas un coup de cœur, il n'en demeure pas moins une magnifique découverte, un grand roman de passion et de drame, d'observation, d'analyse du sentiment amoureux et d'exploration des relations humaines. J'ai parfois souffert d'un rythme qui happe et lasse tour à tour mais qui loin de rebuter le lecteur le fascine et l'emprisonne comme l'araignée dans sa toile.
Autour de la poignée de personnages plus ou moins fouillés, plus ou moins fugaces, se dessine le cadre de Caraïbes fantasmées, oppressées par la chaleur, les humeurs, la puanteur, la mixité, la misère, la vétusté et l'apathie des êtres. Dans un contexte de décadence dotée d'une aura trouble et charnelle, les héros évoluent dans l'acceptation ou le rejet de destins contraires. Et par-dessus tout cela, ce qui m'a envoûtée, c'est une fois de plus la plume ensorcelante de Gabriel García Márquez, et j'en profite pour tirer mon chapeau à Annie Morvan, traductrice de l'édition du Livre de Poche.
Je suis vraiment ravie qu'après toutes ces années de poursuite, ce beau roman m'ait finalement attrapée dans ses filets. Comme dit mon mari : "La peur n'évite pas le danger", et des dangers comme celui d'une lecture marquante, il ne faut jamais hésiter à les courir.