Avant d'écrire Ploutos, Aristophane s'était déjà employé à traiter du sujet de l'injustice sociale dans L'assemblée des femmes.
Car c'est bien ce dont il est question dans cette pièce, bien plus que des femmes et des hommes.
On a rapproché le système décrit dans la pièce de l'économie spartiate ou de la République de Platon. On préssent également un différentialisme que l'on retrouverait au XIXème siècle, chez Mary Shelley entre autre, et chez d'autres féministes pensant que les femmes apporteraient de nouvelles choses plus justes à la société des hommes. La pièce n'est cependant ni féministe ni anti-féministe, et la société décrite a plutôt des accents de matriarcat (éducation des enfants et administration par les femmes, propriété commune des biens).


Les femmes ne sont d'ailleurs au centre de l'histoire qu'au début de la pièce, lorsqu'elles décident de prendre les choses en main et de se déguiser en hommes afin d'aller convaincre ces derniers de leur laisser l'administration de la cité, car elles seraient plus à même d'y faire régner l'harmonie et la justice.
Loin d'être durement tournée en dérision comme le suggère la préface de mon édition (les préfaciers du XIXème siècle ont l'air bien partiaux), leur action est même accueillie positivement par les citoyens athéniens, tant l'argumentaire est convaincant.
Avant cela, les citoyens sont déjà en train de débattre du problème de l'oligarchie régnante à Athènes. Ainsi, il est proposé par un citoyen d'instaurer des lois obligeant les riches à donner aux pauvres. Mais, les femmes veulent aller plus loin qu'une charité institutionnalisée. Il s'agit pour elles de mettre en commun les biens afin que personne ne soit au dessus de quiconque. Et c'est tout d'abord bien accueilli.
La critique vient surtout d'un personnage qui, par ailleurs, n'est pas lui même exempt de défauts puisqu'il veut profiter des bienfaits du nouveau système sans y participer comme les autres.
Une collectivisation des biens ne supprimerait donc pas l'égoïsme ni d'ailleurs le désir légitime de recevoir le fruit de son labeur (bien qu'il faille s'entendre sur ce que vaut ce labeur). La critique d'Aristophane touche donc bien d'avantage l'égalitarisme qui mettrait tout le monde au même niveau que l'égalité minimale résultant d'une répartition des richesses allant des hauts vers les bas revenus et les sans-le-sou.
Cette préoccupation pour les laissés pour compte était déjà présente dans Les Guêpes et sera reproduite dans Ploutos. Une preuve de plus que les monothéismes ne furent pas les pionniers en matière sociale ni les inventeurs de la compassion ou de la charité.
Les femmes apparaissent ici en tant qu'élément déclencheur du changement, comme dans Lysistrata, ce qui ne fait à aucun moment l'objet de misogynie ou de sexisme malgré la culture grecque peut accoutumée à les traiter en égales. Aristophane se serait d'ailleurs bien moqué de la misogynie dans une autre pièce. Nul doute qu'il prend les femmes au sérieux lorsqu'elles sont les instiguatrices d'une grêve de l'amour pouvant mettre fin à la guerre du Péloponnèse (sa grande cause), ou lorsqu'il les montre capable de rhétorique et de détermination en politique, alors même que Athènes leur refuse la citoyenneté. Non, le propos, comme à l'accoutumée chez le dramaturge, est beaucoup plus subtile et complexe. Il faut le décomposer dans chaque personnage, chacun n'incarnant pas forcément le bien ou le mal mais le résultat de décisions prises en amont et de circonstances précises.
Ainsi, ce qui fait bien plus encore l'objet de critique, c'est l'étendue de la collectivisation à la sexualité, ceci ayant lieu dans le but d'abolir la prostitution et la mise à part des personnes vieilles et/ou moches (chez les Grecs de l'antiquité, la beauté était objective et se mesurait en proportions).
Là, le ton est très absurde, donnant lieu à cette scène où un jeune homme est disputé, presque violé, par des vieilles peaux trop contentes de faire valoir le décret en vigueur pour tirer à soi le pauvre homme (qui ne souhaite que de pouvoir visiter une belle jeune fille).


L'assemblée des femmes se lit donc comme une pièce pertinente, posant un problème et y apportant une solution argumentée que d'autres arguments viendront raisonner à leur tour, non par esprit de réaction (la notion de changement était louée dans Les Guêpes) mais semble t-il par sagesse. On y trouve une façon de penser bien à la grec, mais aussi beaucoup d'humour, un humour de situation et absurde, parfois jouant avec les mots, bien différent de l'humour méchant, soit disant emprunt de caractère, qui est à la mode aujourd'hui; ce qui n'empêche pas pour autant les empoignades et les volées verbales pouvant évoquer chez nous les plus surréalistes des bagarres cartoonesques.


Je mets 4 étoiles pour la réflexion, 2 pour l'humour, et deux pour

Greenbat85
8
Écrit par

Créée

le 15 avr. 2021

Critique lue 298 fois

Greenbat85

Écrit par

Critique lue 298 fois

D'autres avis sur L'Assemblée des femmes

L'Assemblée des femmes
Jekutoo
9

Laquelle des deux dois-je bourrer la première pour me libérer ?

Je suis toujours fasciné de constater comment une œuvre vieille de plus d'un millénaire peut entrer en résonance en moi. L'assemblée des femmes est une pièce formidable car elle maintient l'ambigüité...

le 11 mars 2019

1 j'aime

L'Assemblée des femmes
Greenbat85
8

Du collectivisme dans l'antiquité

Avant d'écrire Ploutos, Aristophane s'était déjà employé à traiter du sujet de l'injustice sociale dans L'assemblée des femmes. Car c'est bien ce dont il est question dans cette pièce, bien plus que...

le 15 avr. 2021

Du même critique

Tigre et Dragon 2
Greenbat85
7

Critique de Tigre et Dragon 2 par Greenbat85

"Personne ne possède cette épée, c'est elle qui nous possède" Il est sorti! Du moins, a été diffusé le 26 février en exclu sur la chaîne de streaming Netflix.. La suite du célèbre film d'arts...

le 3 mars 2016

5 j'aime

1

BioShock: The Collection
Greenbat85
9

Critique de BioShock: The Collection par Greenbat85

Juste magnifique ! On a jamais vu dans un jeu pareille déconstruction de la notion d'utopie et du discours du salut et des idoles, pourtant sans simplisme ni pessimisme aveugle. Amenée d'une façon...

le 28 janv. 2018

4 j'aime

Vers un monde sans oiseaux ?
Greenbat85
9

De la passion à la conscience systémique

Beaucoup de souvenirs surgissent en voyant cette jeune ornitho parler de sa passion, de ses défis personnels. Et, partant de là, vient naturellement la question de savoir si l'on veut préserver ce...

le 2 mai 2021

3 j'aime

2