Réaliser la profondeur de l’œuvre dans un final en apothéose

Quand Elena Greco devient écrivain et raconte la difficulté de mener sa vocation avec une vie privée dès les dernières parties du troisième tome, qu’elle récidive tout au long de l’Enfant perdue.Plus vous avancez, plus vous adhérez à une évidence: Elena Greco et Elena Ferrante ne sont qu’une même et seule personne. Si l’auteur nous l’avait avoué à demi-mot dès son premier tome, son œuvre aurait été gâchée alors que réaliser sa profondeur dans un final en apothéose est un coup narratif imparable. Ce qui est sous-jacent également, c’est que toutes les identités de l’Amie Prodigieuse sont inspirées par de vraies personnes dont les noms ont été changés pour ne pas nier à l’intégrité d’Elena Ferrante (dont le nom de famille serait un pseudonyme?). Au niveau du contenu de ce quatrième tome de l’Amie prodigieuse, ce qui fascine d’emblée est la réactivation plus ou moins choisie et heureuse des liens entre Lila et Lenu. Leurs maternités sont l’occasion de constater encore que leurs natures diamétralement opposées sont de nouveau à l’œuvre pour prouver que leurs priorités dans l’éducation sont encore une fois aux antipodes. Critiques l’une envers l’autre, les deux femmes iront jusqu’à mieux comprendre les enfants de l’autre par moments. Comme si leur véritable maternité n’était pas la leur,ce qui est terrible en soi . Un fait faisant réfléchir tout au long du livre sur les rapports contrariés de Lenu avec Dede et Elisa ( qui se choisissent des vies aussi déracinées qu’elles ont vécu au final) ou celle de Lila avec Gennaro/Rino (incapable de se déterminer dans sa vie d’adulte).Les conjoints des deux femmes, Nino et Enzo, ne parvenant pas non plus à saisir les complexités de leurs moitiés que l’un trompe honteusement ou l’autre subit. Par rapport à Naples, Elena Greco/Ferrante fustige encore et toujours les jeux de pouvoir entre les familles du quartier pouvant défaire des liens amicaux, familiaux ou même conjugaux. La narratrice n’en démord jamais quitte à illustrer ce fait par le pseudo-modernisme napolitain n’étant qu’une façade pour cacher les pratiques ancestrales se jouant toujours au meilleur coup de poing ou au coup bas le mieux porté ( procès pour Lenu à cause de son livre et arrestation d’Enzo pour Lila pour ne citer qu’eux et ne pas gâcher l’effet de surprise). À nouveau, le lecteur est embarqué dans un tourbillon sociologique où l’épanouissement des deux amies n’est jamais acquis, toujours menacé par des querelles familiales, intestines et inévitables. Ce qui délecte les lecteurs, c’est de constater que les hauts et les bas d’Elena et de Rafaella, sont aussi les leurs et l’identification est encore plus grande chez les femmes ressentant encore plus charnellement et psychologiquement leurs colères, leurs frustrations, leurs incompréhensions face à une vie qui n’en fait finalement qu’à sa tête. La dernière partie sur la vieillesse des deux femmes n’en est que plus terrible, car sans concessions. Elena, observe avec autant de circonspection que d’abattement comment ses liens familiaux se délitent et que tous les gens qu’elle a bien connus à son apogée s’effondrent progressivement. Un fait de vie universel que chacun des lecteurs ou des lectrices du livre peuvent reconsidérer à l’éclairage de leurs propres expériences de vie. Voilà pourquoi ce quatrième tome se termine sur une aigreur qui séparera définitivement Linù et Lila, les mettant sur un pied d’égalité pour ne pas prendre parti pour l’une ou pour l’autre. Ferrante fait un bon choix pour ne pas faire triompher l’esprit sur le bon sens populaire et que la vie reste diversité malgré TOUT.

Specliseur
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le 12 juil. 2022

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