L'Été slovène par Démon S'en-Va-en-Guerre

À seulement 22 ans, Clément Bénech commet ce premier roman – on dit comme ça dans le jargon. Il possédait pour son âge une maturité étonnante, prérogative peut-être des jeunes parisiens qui deviennent si vite adultes ? La façon dont il campe son personnage de garçon attachant et maladroit est en tout cas étonnante. Bien sûr, pour le lire, il ne faut pas aimer les grands romans qui brassent de grands enjeux politiques ou métaphysiques. Clément Bénech serait plutôt un entomologiste des relations humaines dans ce qu’elles peuvent avoir de dérisoires. Sa prose, tout en restant tendre, fait souvent preuve d’une force satirique assez satisfaisante. Elle a en tout cas un charme qui, je trouve, supporte une seconde lecture – mais peut-être pas une lecture orale ?


Ce texte est en tout cas plein de pépites, loufoques (« C’est vrai que je suis un bon exemple d’un garçon tel que moi ») ou poétiques (« Partout dans l’herbe furetaient des écureuils anthracites »). Il est écrit avec une touchante affection pour les mots, les sens qu’ils cachent sous leur surface lisse, ou simplement leurs sonorités – « pédiluve », par exemple, un peu comme au scrabble, et un mot que l’on se réjouira d’avoir sorti de sa besace. Les mots après tout sont comme ça : de temps en temps il faut les sortir de la vitrine poussiéreuse derrière laquelle ils se meurent. Ça leur fait du bien.


La quatrième de couverture parle d’un texte sur le déclin de l’amour – c’est seulement vrai en apparence. C’est que ce roman refuse obstinément de regarder en face ses véritables enjeux – non pas la fin d’un amour donc, mais simplement deux libidos désaccordées. Ce qui met la puce à l’oreille, c’est que toutes les scènes de sexe sont éludées. Tant d’ellipses à la longue interrogent. Elles sont évitées comme si elles appartenaient à un autre ordre de réalité, à une dimension de la réalité qu’il ne faut pas raconter. Par pudeur, pudibonderie, élégance ? C’est d’autant plus surprenant que tout le reste n’est que pantomime – pantomime qui mène au sexe, qui lui-même n’est que pantomime. Dans ce roman décidément tous les actes sont des actes manqués. La personnalité ne cesse de se briser, de se reconstituer.


Le garçon est charmant, il fait d’excellents jeux de mots. Il est souvent indifférent, il n’aime pas – semble-t-il – intervenir dans le cours des événements, un fatalisme que sa belle lui reproche à plusieurs reprises. Car la fille est belle – peut-être pas si belle que ça, mais elle a tout les attitudes de la beauté, et ça suffit amplement. Mais le garçon est trop prudent et la fille pudibonde.


Car qu’est-ce qu’il cloche entre les deux tourtereaux ? On ne le sera pas directement, le narrateur ayant l’art de détourner les yeux de l’endroit où il devrait justement les poser. L’humour chez lui est devenu un véritable art de l’esquive. Son grand amour des mots le détourne des choses. C’est cela qui est beau – cette tentative pour ne rien dire du tout, rendant le sous-sol de ce texte d’une grande richesse. Si en apparence, les deux protagonistes, distraits par les péripéties du voyage, se détournent de leurs problèmes de sexe, puisqu’il faut bien appeler un chat un chat, en réalité, ils ne font rien d’autre qu’en parler – élevant le dialogue passif-agressif dans ses plus hautes sphères.


C’est ça la légèreté qu’on ne peut qu’envier à Clément Bénech : un refus obstiné, et d’une témérité folle, des profondeurs.

Peter_Saras
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le 7 janv. 2018

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