La religion ne devrait pas se mêler de politique, et la politique devrait laisser de coté la religion, c'est un fait connu de tous. D'accord, en théorie, le judaïsme est des religions politiques (le Messie des Juifs est avant tout le roi d'Israel, suivant le modèle imparfait du Roi David). Mais le christianisme, du moins sil suit les recommandation du Christ lui-même, devrait se tenir à l'écart de la politique, Jésus étant, d'un certain côté, le premier défenseur de la laïcité ("Mon royaume n'est pas de ce monde", "rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu" etc.).
Pourtant, ce sont bel et bien des considérations d'ordre politique qui ont conduit au choix des livres de la Bible telle qu'on la connaît de nos jours. On a accepté ou rejeté tel ou tel livre en fonction des rapports de force d'une époque donnée, ou pour pouvoir mieux désigner les "hérétiques".
Les livres contenus dans la Bible actuellement sont donc appelés Canoniques, et ceux qui en ont été rejetés Apocryphes. Certains de ceux-ci se trouvent publiés, par exemple, dans de formidables livres de l'édition Pléiade et sont plein d'enseignements.
Ainsi donc, nous avons quatre évangiles canoniques, et quelques autres qui restent apocryphes (Thomas, ou Pierre par exemple).


Qu'est-ce qu'un évangile ? Le mot signifie "bonne nouvelle, bon message" et désigne les livres qui racontent la vie et l'enseignement de Jésus en Palestine au 1er siècle. Nous avons quatre évangiles, clairement divisés en deux groupes : d'un côté les trois premiers, Matthieu, Marc et Luc, appelés "Synoptiques", qui suivent un plan similaire et qui ont sûrement une même source ; on y retrouve les mêmes épisodes, beaucoup de récits de miracles (guérison, voire résurrection) et les enseignements de base.
Et puis, il y a l'Evangile de Jean, tout seul dans son coin.
Pourquoi est-il si différent ? Pour le comprendre, il suffit d'abord de voir un tableau comparatif : la majorité des épisodes relatés par Jean ne se trouvent pas dans les autres livres, et inversement.
Pourquoi donc ? Si ces quatre livres sont censés reprendre la vie du même bonhomme, pourquoi y en a-t-il un qui soit différent ?
Ces différences ne sont pas des contradictions. Mais l'auteur de l'Evangile de Jean choisit plutôt le symbolisme et les longs discours


du Christ.
Prenons un exemple. Le premier miracle décrit chez Jean se situe pendant des noces dans la ville de Cana, en Galilée. Là, Jésus transforme de l'eau en vin. Miracle anecdotique, pourrait-on dire, si on le compare à la résurrection de Lazare ou la guérison de lépreux. Miracle douteux même, puisque les trois autres Evangiles n'en parlent pas.
Sauf si on le regarde comme un symbole. La transformation d'eau en vin, c'est le passage d'un état à un autre qui lui est supérieur, c'est l'ancien Testament que Jésus est venu transcender en une nouvelle Alliance avec les hommes.


Si l'on veut faire un résumer, on peut dire que le message de Jésus comporte deux enseignements majeurs : d'abord, tout est une affaire personnelle. En venant abolir les pratiques juives, le Christ transforme un religion d'état en une pratique personnelle. Finis les rituels extérieurs, les sacrifices d'animaux et les coutumes vestimentaires bizarroïdes, tant de codes sacrés qui favorisaient une apparence de pratique religieuse mais ne garantissaient en rien une adhésion réelle, spirituelle, à cette même religion. Les attaques de Jésus sont concentrés sur les hypocrites, ceux qui se prétendent religieux, en ont toutes les apparences extérieures, mais sont éloignés de l'essentiel.
La religion prônées par le Christ est totalement personnelle et intérieure. C'est un rapport direct entre l'homme et Dieu. Du coup, pas de religion d'état, pas de participation forcée à des rituels de masse, pas de conversion forcée sous la menace des armes ; en bref, rien de tout ce qui s'est pratiqué au fil des siècles au nom de ce même Jésus.


Le deuxième enseignement, c'est l'amour. Un enseignement qui est primordial dans les livres de Jean, que ce soit cet Evangile ou les épitres qui l'on trouve plus loin dans le Nouveau testament (enfin, si tant est que ce soit vraiment Jean qui soit l'auteur de cet Evangile ; il en est plus sûrement l'inspirateur).
En bref, le Christ nous incite à aimer tout le monde. Certes, ce n'est pas facile, mais qui a dit que la religion était quelque chose de simple ? Oui, le matin, au volant de votre voiture, la tête dans le seau, lorsque vous freinez juste à temps pour éviter la grosse BMW qui vient de vous faire un joli refus de priorité, c'est vachement difficile de se dire que l'on doit aimer cet homme (ou cette femme, qui finalement conduit aussi mal que nous). Mais ce que Jésus nous demande, c'est un changement de point de vue. Et tout un travail sur nous-même, le seul vrai travail de conversion, celui qui fait de nous les membres à part d'une société où on prendrait soin réellement les uns des autres, pour de vraies raisons humaines et non matérielles.
Alors, oui, on peut qualifier Jésus d'utopiste. N'empêche que sa vision du monde, où on s'occuperait en priorité des plus faibles, où la tâche principale consisterait à soulager les douleurs physiques et morales des personnes autour de nous (pas forcément notre famille, d'ailleurs, ni même notre peuple, mais notre prochain tel qu'il est défini dans la parabole du Bon Samaritain, cf. Luc, chap. 10, versets 25 à 37).
Une fois de plus, on voit facilement ce qui sépare cet enseignement et la vie de l'église qui se prétend du Christ. Un enseignement qui, plus que jamais, doit être personnel, car la religion est une affaire personnelle uniquement.
L'évangile de Jean est sûrement le plus profond, le plus mystique, le plus symbolique des quatre. Celui qui s'adresse à chaque personne, aux profondeurs de son esprit.

SanFelice
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le 6 déc. 2015

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