C'est pour mieux recueillir ton sang que la main te nourrit.

Pour celui qui découvre l'écriture de Saramago, ce livre est une grande expérience. Pour le dire simplement, c'est tellement bien écrit que ça donne envie de devenir écrivain. Le roman est parsemé de phrases cultes (sans jeu de mot) que je me suis surpris à souligner pour les retrouver.

Sur le fond, Saramago propose un contenu bien ficelé, avec, on le sent, une maîtrise de son sujet assez impressionnante. Je ne sais pas comment il a fait, mais il redonne vie à toute cette partie de l'histoire chrétienne avec une simplicité déconcertante. Quand Jésus parle, on a l'impression de l'entendre. Un modèle de répartie, sois-dit en passant. Mais surtout, la ligne de conduite de Jésus est ici l'occasion d'une approche différente du rapport à la divinité. En se basant sur cette particularité du Christ, qui est d'être à la fois homme et non-homme (puisqu'être divin), Saramago fait dialoguer l'idée même de morale (l'opposition entre bien et mal revue à travers celle de l'opposition entre hommes et dieu) assez habilement.

On sent le souffle humaniste et critique de la religion, qui incorpore cette idée que la souffrance et le sacrifice d'un homme est une condition d'adoration du dieu. Pour Saramago, il n'y a aucune justification à l'incorporation du châtiment dans un système de croyance qui prétend émanciper l'homme. Il transforme ici le Christ en victime de Dieu et des Hommes eux-mêmes, qui entretiennent une relation absurde fondée sur la souffrance, apparemment moteur efficace de la croyance.

C'est un point de vue intéressant, même si un jugement plus anthropologique du roman reprocherait à Saramago d'avoir confonfu souffrance et sacrifice, qui sont deux choses culturellement très différentes (toutes les cultures rejettent certaines souffrances tout en acceptant le sacrifice, celui-ci est donc "à part"). Mais on referme le livre en se demandant : tiens, oui, comment imaginer la religion sans souffrance dans le corpus ? Magnifique livre.