L'Homme-dé
7.2
L'Homme-dé

livre de Luke Rhinehart (1971)

George Powers Cockcroft nous livre là une œuvre majestueuse et incontournable de la littérature américaine du XX°. On peut l'avoir apprécié, adoré, adulé, détesté, rejeté, haï, ce livre ne peut pas laisser indifférent. C'est là toute la magie d'une œuvre et ce qui, à mon sens, fait la grandeur d'un écrivain.

Par cette apologie du hasard comme seul moyen de libérer l'ensemble de nos pulsions, Luke Rinehart, nous livre sa biographie. Une biographie dérangeante qui attire autant qu'elle révulse. Psychiatre de renom, il découvre, après un long cheminement intellectuel, ce qu'il pense être la solution pour libérer entièrement l'Homme. Le libérer de quoi ? De son milieu social, de son éducation, de sa "moral", de sa routine. N'est ce pas ce que l'individu ? La question de la liberté taraude l'esprit humain depuis des siècles et c'est par ce biais que l'auteur nous entraine dans une une quête que tout le monde mène.

Les cent premières pages du livre sont en cela essentielles. Elle nous font découvrir un médecin qui mène une vie "normale", qui est intelligent, qui a une belle situation, une famille. Il a, dans notre conception moderne, une vie que tout le monde souhaite. C'est la première clef du livre : ce personnage c'est vous, c'est moi.

Le mode biographique emprunté par l'auteur nous permet alors de comprendre ce qui se passe dans la tête d'un homme qui se sent enchainé, malheureux et qui réalise après un demi siècle de vie que son idéal n'est en fait qu'une prison. Là ou il a placé sa liberté, il se retrouve prisonnier.

Pour s'en échapper, une solution : le hasard, l'acceptation du destin sans se poser de question. L'unique chose qui nous tient en laisse n'est en fait que l'esprit humain. Cet esprit, aussi brillant que pathétique, nous empêche de réaliser nos pulsions. Le hasard, par le biais des dés (représentation pure et parfaite du destin et de la contingence), va permettre la réalisation de ce que nous voulons faire mais que nous n'osons pas faire. Commençant par de petites choses insignifiantes, ce médecin va finir par jouer au dé les décisions les plus importantes de sa vie.

L'histoire nous maintien en haleine (malgré 150 pages de trop à mon gout), la méthode est tentante et l'on réfléchit forcément à l'application sur notre propre personnalité. Le concept de base est simple, un peu sur un principe similaire que le "discours de la méthode" de Descartes, la déstructuration de la personnalité permet de repartir à zéro, en restant à zéro : il faut tout essayer, ne s'imposer aucune barrière et la liberté est acquise.

Non il n'est pas fou, ni schizophrène, il est comme tout le monde, seulement il tente de s'affranchir des chaines qui l'enserrent. L'épilogue met mal à l'aise. On finit par s'attacher au personnage, on comprend son raisonnement sans pour autant pouvoir le cautionner et c'est ici que se trouve la deuxième clef du livre.

De mon point de vue, il ne faut en aucun cas rester sur une lecture littérale, stricto sensu, du texte. Les nombreuses polémiques (histoire vraie ? Paradigme de la décadence de la société post-68 ?) qui ont entouré cette histoire restent présentes mais n'ont pas lieu d'être. Cette œuvre n'est elle pas tout simplement une fiction démontrant par une exacerbation de la libéralisation des mœurs et de l'esprit tous les risques et les points négatifs que comportent un tel exercice.

La liberté ne se trouve alors peut être pas dans la libéralisation totale.
benjamingarret
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le 3 mai 2012

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benjamingarret

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