L'Idiot
8.4
L'Idiot

livre de Fiodor Dostoïevski (1870)

Après plusieurs recommandations en ce sens, j’ai découvert Dostoïevski à la faveur de son roman l’Idiot et, honnêteté oblige, je confesse ici l’ampleur de ma déception. Tant sur le fond que sur la forme, cette lecture me fut à la fois pénible et désagréable. 

Sur la forme, l’Idiot est en quelque sorte une pièce de théâtre dans laquelle de nombreux personnages, dont on se serait bien passé pour certains, affluent d’intrigues en intrigues dans une Russie en proie aux mutations de son temps. Outre la difficulté à retenir le nom de chacun d’entre eux, ce qui ajoute grandement à la pénibilité de la lecture (encore que - pardonnez mon inculture - mais il me semble qu’il s’agit là d’un trait typique de la littérature russe), leur contribution au récit s’avère parfaitement superflue. 

Des deux parties du roman, j’ai trouvé la première plus agréable que la seconde. La cohérence du récit et le plaisir que le lecteur peut éprouver à faire la connaissance de l’attachant Prince Mychkine - L’idiot - sont autant d’éléments à ajouter au crédit de ce premier acte. L’introduction du Prince dans la haute société russe pose le cadre du roman - de façon assez comique - à travers la confrontation de celui-ci à la famille Epanchine ; confrontation qui porte en elle les antagonismes de l’époque, à savoir le déclin d’une Russie aristocratique et orthodoxe au profit d’une Russie bourgeoise et athée. Hélas, la trame romanesque et l’apparente sobriété littéraire de cette première partie s’émoussent dès l’entrée dans la seconde, laquelle se résume en une succession d’intrigues décousues portées par une flopée de personnages dont on peine à apprécier le caractère. En deux mots, cette seconde partie, c’est un scénario moyen interprété par de mauvais comédiens. 

Sur le fond, outre quelques prouesses esthétiques - ce que l’on est en droit d’espérer lorsqu’on se coltine 530 pages -, deux points ont attiré mon attention. 

Premièrement, la simplicité apparente du Prince Mychkine dissimule en réalité une forme d’intelligence primaire sur laquelle on ne saurait que trop s’arrêter. Cette intelligence, c’est celle des hommes niais, des simplets, purs des oiseuses spéculations intellectuelles propre à l’homme d’esprit, et qui permet au prince de voir avec une limpidité quasi cristalline les nuances, les mécanismes, les contradictions et les affects qui habitent le coeur et l’esprit de chaque homme. Une perspicacité quasi enfantine qui pose son regard sur les hommes et les choses avec innocence, sans s’embarrasser des susceptibilités des uns et des autres. Susceptibilités dont le prince n’a d’ailleurs pas conscience, raison pour laquelle le remord est toujours jumeau de l’innocence dans ce roman, le prince ne prenant conscience de son impudence qu’une fois le mal effectué. C’est donc cette curieuse sagacité, cette innocente simplicité et cette honnêteté vierge de toute malignité qui m’ont plu - autant de traits qui le rendent à la fois inquiétant et attachant à sa pudibonde petite compagnie bourgeoise. 

Deuxièmement, c’est pour sa contribution sociologique (si j’ose dire) que le roman m’a semblé pertinent. Dostoïevski se fait, sinon le contemplateur, du moins le témoin de l’évolution des moeurs et des structures sociales de son époque : déclin du christianisme et des valeurs aristocratiques, essor du mercantilisme et des valeurs bourgeoises, importance de la presse écrite, apparition du banditisme, etc. Autrement dit, Dostoïevski dresse le panorama d’un monde matérialiste, confinant parfois au cynisme, qui supplante un monde spirituel, confinant lui-même à l’angélisme. D’ailleurs, les élans de tendresse et de sympathie à l’endroit du Prince témoignés par son entourage bourgeois peuvent s’interpréter comme l’expression des derniers reliquats de nostalgie de la nouvelle société russe envers la vieille en déclin. Mais malgré tout l'intérêt que revêt cet aspect du roman, c'est bien loin du génie de Balzac et de sa fulgurante capacité à cerner les attitudes de tel ou tel milieu social.

Voilà donc les deux points qui ont le plus retenu mon attention. S’ils ont le mérite d’exister, ils n’auront néanmoins pas suffi à me tirer de l’immense ennui provoquer par cette interminable succession de litanies. Je le déplore, mais je n’ai rien appris sur moi-même non plus que sur la condition humaine au cours de ces 530 pages d'un roman-fleuve s'il en est.

D’aucuns ne manqueront pas de me faire remarquer que la force de ce livre se trouve dans la capacité de Dostoïevski à manier l’ellipse et la digression. Mais même sur ce point, j’ai trouvé que ce qui était tu n’était pas vraiment plus intéressant ce qui était dit, et que ce qui était dit indirectement était souvent moins pertinent que ce qui était dit explicitement. Peut être cela tient-il à mon insensibilité aux plus beaux jaillissements de l’esprit humain ? J’ose l’espérer, tant pour Dostoïesvki que pour les amateurs de son roman l’Idiot. 

Et voilà comment se conclut ma première rencontre avec le romancier russe. N’étant pas d’un tempérament rancunier, j’aurai bientôt l’occasion de retourner aux oeuvres de celui qui m’a un instant retenu prisonnier, en espérant que Crime et Châtiment me le rende un peu plus familier. 

Borigide
4
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le 20 oct. 2023

Critique lue 15 fois

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