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Je fais partie de ceux qui ont été surpris et heurté par les mesures parfois démesurées adoptées pour lutter contre le coronavirus depuis 2020. J’ai une grand-mère qui est décédée de la Covid-19 en Ehpad fin mars 2020. Malgré mon immense tristesse, cela me semblait dans l’ordre des choses : elle était âgée de 93 ans et fragile. Ce qui m’a le plus outré c’était de la savoir privée de visites pendant les dernières semaines et de ne pas avoir pu assister à ses funérailles. Vouloir protéger coûte que coûte la « vie » (au sens biologique) aux dépens de la « vie » (au sens social) m’a toujours semblé une dérive de notre société, que je qualifie volontiers d’hygiéniste. C’est pourquoi cet opuscule a retenu mon attention sur l’étal de la librairie.


Toutefois la démonstration d’Olivier Rey me semble confuse et ambiguë. Autant il me semble sage de souhaiter « réapprendre à mourir » et de réinscrire la mort dans la continuité naturelle de la vie, autant cette volonté de « réapprendre à souffrir » me semble relever d’une mystique beaucoup plus contestable. Cela relève d’un choix bien plus personnel et sans intérêt sociétal particulier. S’il est une chose noble qu’on cherché à faire de nombreuses sociétés humaines, c’est bel et bien de chercher à réduire à la souffrance. Celle précédant la mort, mais de manière plus générale celle qui pétrit le quotidien de beaucoup de personnes : maladies chroniques, maladies psychologiques, souffrance résultant d’une situation difficile, de la pauvreté, de la perte d’un être cher... Réhabiliter la souffrance comme principe de société me semble à la fois cruel et parfaitement inutile. Elle occupe une place naturelle et inamovible suffisante pour que l’on souhaite lui en accorder davantage.


Plus globalement, cette diatribe de quelques dizaines de page m’a gêné par son entremêla d’idées décousues, ses jugements de valeur à l’emporte-pièce et l’aptitude de son auteur à s’épancher sur des domaines qu’il ne maîtrise clairement pas. Son discours sur les attentes démesurées que l’on peut avoir vis-à-vis de l’Etat est intéressant, mais au-delà de ça, je ne partage plus grand chose avec sonia analyse. Son exposé de quelques pages sur l’inutilité de taxer les riches manque par exemple clairement d’acuité et se complaît dans des considérations de comptoir.


Olivier Rey nous impose ainsi un laïus sur Venise, créée par ses riches commerçants, et sur les milliardaires contemporains qui contribuent à l’« enlaidissement du monde » en achetant villas de luxe et art contemporain, considérant que « là est là véritable indécence ». Moi qui pensais qu’il s’agissait de conséquences désastreuses des politiques menées par les firmes multinationales en Afrique ou en Asie, des effets délétères des délocalisations sur la classe ouvrière en Occident ou encore de la pollution générée par ces mêmes riches (les 10 % des Européens les plus riches sont responsables de plus de 27 % des émissions de l’Union européenne).


L’auteur poursuit son raisonnement équivoque, pointant du doigt le libéralisme économique tout en se félicitant de l’existence d’une élite économique, opposant artificiellement protection de l’environnement et progrès médical, se vautrant dans une technophobie de principe, tournant en dérision l’euthanasie au détour d’un paragraphe...


J’espérais découvrir un auteur qui me donnerait des clés pour argumenter sur la jouissance de la vie et l’acceptation de la mort, j’ai finalement fait la connaissance avec un auteur aux thèses réactionnaires et ambivalentes, inscrivant sa pensé dans une sorte de renouveau de la culture chrétienne dans lequel les hommes doivent souffrir sur Terre pour gagner leur place au Ciel, où la vie peut être offerte en sacrifice à des idées plus grandes qu’elle. Il y a dans ce discours sur la souffrance, surtout celle des autres, quelque chose d’impudique et de dérangeant.


Se plonger dans la lecture d’un essai sans se renseigner sur son auteur, c’est prendre le risque de découvrir a posteriori qu’il est connu pour ses prises de positions technophobes, homophobes et opposées aux droits de l’Homme. Mais partant du principe que se forger une opinion passe aussi par la confrontation à des idées radicalement différentes des siennes, je serai sûrement amené à me frotter de nouveau à cet auteur à l’avenir. Même si leurs partisans respectifs s’en défendent farouchement (évidemment !), la gauche et une branche de la droite conservatrice tendent à se retrouver autour de certains principes liés à l’écologie, à la maîtrise du progrès technologique, à la lutte contre le libéralisme (économique et/ou sociétal c’est selon)... Les uns veulent redonner toute sa place à l’Homme, à l’humain, les autres à Dieu, à la religion et à la spiritualité. Même si les fondements, les applications et les perspectives diffèrent, nous touchons à un point de rencontre partiel autour de notions essentielles, et il y a sûrement beaucoup à tirer de la confrontation d’idées. À ce titre, je n’oublierai jamais l’émotion et la prise de conscience tirée de la lecture de La France contre les robots de Bernanos. Une différence majeure avec Olivier Rey réside toutefois dans le fait que Bernanos a connu la guerre et qu’il ne se complaît pas dans ce qui s’apparente à un fantasme sacrificiel.

ZachJones
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le 18 mai 2021

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Zachary Jones

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