En cette année 2019, cela fait 160 ans que Charles Darwin publiait De l'origine des espèces et révolutionnait à jamais la biologie, posant ainsi l'essentiel du cadre théorique permettant de saisir plus en profondeur le phénomène de la vie sur Terre. Ainsi, Theodosius Dobjansky disait que rien en biologie n'a de sens, si ce n'est à la lumière de l'évolution. En effet, la découverte de Charles Darwin fut la plus importante de toute l'histoire des sciences et par conséquent, il semble évident qu'elle devrait mobiliser l'attention, non seulement des philosophes mais des psychologues, sociologues et du grand public. Bien qu'il existe des revues de psychologie consacrées au phénomène de la psychologie évolutionnaire, il semble qu'en France nous n'ayons pas passer encore le cap du réflexe d'attribuer à la découverte de Darwin l'aspect paradigmatique qu'elle mérite. De plus, il est important de rappeler que les implications de la théorie de l'évolution sont de proportions métaphysiques, et qu'il est essentiel qu'elle soit mieux enseignée qu'elle ne l'est présentement.


Ce qui rend si important la théorie de l'évolution réside en premier lieu dans son objet d'étude, à savoir la vie. Grâce aux fondements de cette théorie, nous avons désormais les moyens de comprendre la raison pour laquelle nous observons une si grande diversité d'espèces vivantes et pourquoi elles semblent si bien coordonnées et adaptées à leur environnement, leur taxinomie, leur singularité et surtout leur caractère héréditaire. L'espèce humaine n'étant qu'une espèce parmi d'autres au sein de l'arbre phylogénétique de la vie, nous devons avoir une compréhension darwinienne de l'origine et de la nature de l'homme. Toute science ayant pour volonté d'explorer cette question - particulièrement la biologie - devrait s'approprier ce paradigme qui ne devrait pas rester confiné aux départements de biologie.


Je parle surtout de la psychologie car c'est la science qui en est directement reliée, puisque la psychologie humaine est secrétée par le cerveau, et que le cerveau est un organe ayant évolué. C'est sans doute la partie de l'anatomie la plus fascinante, par ailleurs. Qu'il s'agisse des différents hémisphères, de la substance grise, blanche, des artères du cerveau, des méninges, des fonctions du cortex cérébral, du thalamus, l’hypothalamus, du système lymbique, des nerfs crâniens, etc, tout est méticuleusement coordonné à l'aune de l'évolution humaine. Rien n’a de sens en psychologie, sauf à la lumière de l’évolution. Le paradigme évolutionnaire doit aussi gagner la sociologie. La société est un agrégat d’organismes vivants dont les comportements sont eux aussi le produit de l’évolution.
Rien n’a de sens en sociologie, sauf à la lumière de l’évolution. C'est d'ailleurs ce qu'avait merveilleusement bien compris le professeur Friedrich Hayek, dont la particularité avec les autres économistes de l'école autrichienne est d'avoir pris en compte la biologie évolutionnaire et ainsi, d'avoir balayé la notion d'homo œconomicus (aujourd'hui utilisé comme sophisme d'homme de paille par "l'anti-économisme" de tout bord) en établissant une vraie sociologie à la lumière de Darwin.


Donc, si la pensée darwinienne a tant de mal à gagner les départements de sciences humaines, c'est en raison d'une crainte totalement obscurantiste, fausse, idéologique, sur une prétendue récupération et instrumentalisation politique de la biologie visant à légitimer l'ostracisation de certaines parties de la population et promouvoir une politique réactionnaire ou eugéniste préconisée à la Sir Francis Galton, ou dans une moindre mesure, à la Thomas Malthus. Mais cette peur repose entièrement sur l'affirmation a priori du sophisme naturaliste, qui présuppose que nous devrions conférer une légitimité morale à la nature. C'est de ce sophisme que dérive le phénomène écologiste actuel et la collapsologie, qui ont tout deux pour caractère d'exagérer les vertus morales de la nature au détriment de la raison pratique. Aussi, cela implique par exemple de penser que si nous devions découvrir qu'il existe dans la psychologie humaine une propension à la violence (lire Konrad Lorenz à ce sujet d'ailleurs), ou quelconque autre caractère jugé immoral par notre postmodernisme, héritée d'une histoire naturelle brutale de la compétition, nous devrions nous résigner à cette réalité, voir même la célébrer et organiser la société en fonction de cette découverte. C'est aussi ce qu'on appelle une dérive scientiste. Et par ailleurs, contrairement à ce que les contempteurs de la psychologie évolutionnaire pensent, les étudiants en psychologie qui sont sensibles à cette approche "biologisante" ne sont pas des réactionnaires et ils soutiennent par ailleurs une approche plus rigoureuse, quantitative et méthodique du comportement humain que les étudiants qui rejettent a priori la pensée évolutionnaire.


Il est assez désolant de constater qu'à l'heure actuelle, et contrairement aux idées reçues, nous ne vivons pas à une époque du triomphe du rationalisme et de la science. Je me risquerai même à dire que notre civilisation n'a jamais été aussi peu soucieuse de la vérité, aussi convaincue par les mythes qu'ils soient fictifs, sociaux, historiques, catastrophistes, les réseaux asociaux ont considérablement exacerbé les biais les plus primitifs de nos contemporains, il n'est désormais plus possible d'évoquer certains sujets désormais sclérosés par le politiquement correct, et dans un sens le darwinisme est en ligne de mire là-dessus. Je dirais même que notre société est toujours aussi créationniste qu'avant, et je parle bien de notre société, pas des Bible Belt aux Etats-Unis. En effet, croire que la société est causa sui et qu'elle existe de manière parfaitement indépendante du substrat biologique sur lequel elle se construit et du processus évolutif (comme la gauche essaye de nous le faire avaler), c'est bel et bien du créationnisme. C'est bien ce que l'on constate actuellement par le primat de la sociologie moderne sur toutes les sciences et la dérive postmoderniste. Pourtant, l'idée évolutionniste, comme je le disais plus haut, est orthodoxe dans les départements de sciences naturelles, il n'y a que les sciences humaines qui font mine de distinguer leur discipline du paradigme darwinien, comme si cela ne concernait que la faune, la flore, et le grossièrement résumé principe d'évolution qui nous aurait fait simplement passé du singe à l'homme. Le marxisme culturel, c'est dire que l'homme demeure biologiquement une page blanche et que tout ses déterminismes ne sont dû qu'à des processus d'oppressions en société et du capitalisme. Ridicule !
Cependant, l'incompréhension dont est victime la théorie de l'évolution n'est pas confinée aux cercles universitaires politiquement orientés à gauche. Dominique Guillo a ainsi démontré dans son enquête Ni Dieu, Ni Darwin, que les Français ne comprennent rien à la théorie de l'évolution et sont totalement imprégnés d'idées créationnistes et providentialistes, en particulier chez ceux qui se réclament de l'athéisme. En effet, dans l'opinion publique, la vieille idée de Dieu a simplement été remplacée par celle de la "Nature". Cela n'est pas étonnant lorsque l'on constate le bain culturel dans lequel patauge ceux qui nous entourent. Il n’est que de penser au film Le Roi Lion pour voir à quel point la conception idéaliste et providentialiste de la nature est populaire.


Néanmoins, contrairement à ce que redoutent beaucoup de progressistes, la compréhension de l'évolution détient un formidable outil philosophique pour envisager un progrès de la paix, de la compréhension mutuelle et de la compassion humaine. L’histoire naturelle révèle que nous autres êtres humains avons émergé d’un processus extrêmement violent, chaotique, dépourvu de sens et il faut bien le dire, atrocement injuste. L’évolution est un processus non-aléatoire d’attrition, c’est-à-dire de reproduction différentielle des phénotypes. Cette nature non-aléatoire se traduit par une pression sélective exercée sur certains traits génotypiques, avec pour conséquence une adaptation au sein des populations connue sous le nom de microévolution. Pour dire les choses simplement, la sélection naturelle est un mécanisme discriminatoire, et ses conséquences sont épouvantables pour ceux qui en sont victimes. Une fois que l’on a compris ça, on ne s’étonne plus des innombrables déchirements qui séparent les hommes les uns des autres. On ne s’étonne plus non plus du malheur global qui accable l’humanité. Tout cela n’est que la conséquence logique des propriétés du monde intrinsèquement inadéquat dans lequel nous avons été jetés. Un monde froid, indifférent et violent. Une fois que l’on a compris ça, on ne peut plus accabler l’humanité "pécheresse" ou "destructrice de la nature" et la tenir pour responsable de tous les malheurs du monde. On ne peut qu’être saisi d’une compassion infinie pour tous les êtres qui ont traversé cette vie et en ont subi la cruauté. Je pense d'ailleurs, que c'est ici que la vision chrétienne peut trouver son chemin, et faire comprendre aux gens qu'on accorde une trop grande importance à la vie terrestre (peur de mourir, éco-anxiété des nouvelles générations, tentatives d'utopies destructrices, etc) et que la vraie vie commence à la vie céleste.

Polyde
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le 23 déc. 2019

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