Je m'appelle Bobby Watson
Vous vous rappelez votre enfance, quand lors d'un dîner avec invités, papa et maman insistaient pour que vous restiez à table après le fromage ("t'auras pas de dessert si tu te lèves de table !") parce que ça faisait plaisir aux invités de vous voir, alors qu'objectivement, ça ne servait à rien parce que vous n'aviez rien à dire d'intéressant voire que vos soupirs de protestation ou vos conversations en aparté avec votre fratrie gênaient la leur ?
Et si on vous intimait l'ordre de la fermer, vous tentiez d'écouter leurs conversations, et vous n'y pigiez rien. Parce que ce qu'ils disaient n'avait aucun sens. Vous aviez l'impression qu'ils se répétaient et que rien ne s'enchaînait avec logique. Seule vous motivait la promesse du dessert dès que maman aurait fini son morceau de camembert.
J'ai eu un peu le même sentiment en m'attaquant à cette œuvre drôlissime de Ionesco : on est dans un salon, des gens conversent sur tout et sur rien (surtout sur rien, en fait). Leurs propos absurdes se succèdent avec un naturel confondant, les jeux de mots défilent, et puis une réplique suffit à tout faire éclater, à créer (ou à faire rejaillir ?) la folie au sein de ce microcosme de la société contemporaine : une question sur la Cantatrice Chauve. Dont on ne saura rien, si ce n'est que 1) elle est chauve, et 2) elle se coiffe toujours de la même façon (je vous laisse méditer là-dessus).
Rien, bien sûr, n'a de sens. Dépourvu de valeurs, le monde n'en a pas, donc logiquement, la société contemporaine non plus, et il faut bien qu'on occupe nos longues soirées, et quelle meilleure façon y a-t-il pour cela que d'échanger des banalités avec nos pairs ?
Contrairement à Beckett, qui a écrit à dessein des textes lourds et poussifs (En attendant Godot n'est pas le pire du genre, croyez-le ou non), Ionesco nous fait mourir de rire en maniant le langage comme un jouet. Pour faire court, La Cantatrice Chauve est une pièce relativement courte, hilarante et elle se lit très facilement. Si ce n'est déjà fait, jetez-y au moins un œil.