Encore une oeuvre impossible à noter.


Il faut commencer par avouer que ce livre n'est pas très bon. Mal écrit, moyennement ficelé, globalement assez plat. Perdu entre un réalisme socialiste plutôt désabusé qu'exalté et lucide (c'est là que peut résider l'intérêt du réalisme) et une volonté d'innovation littéraire pas très convaincante à base de métaphores lourdes et mal amenées et de jeux narratifs ni originaux ni, beaucoup plus important, adéquats au propos. En revanche les idées qui y sont développées peuvent paraître assez originale, malheureusement, pour qui les mots "socialisme", "bourgeoisie" ou "révolution" ne disent pas grand chose.


Mais si ce livre est particulièrement intéressant hors du propos convenu et du témoignage historique (la jeunesse bourgeoisie intellectuelle qui culpabilise d'être dominante et tombe dans la surenchère révolutionnaire, le communisme comme engagement total, la famille bourgeoise oppressante, le profil social type du jeune normalien prétentieux machiste et surtout immature du début du XXe siècle), c'est pour ce qu'il signifie par la conjonction du texte et de l'auteur.


En gros le plot du roman c'est un groupe de normaliens ennuyés qui décide de créer la revue "La guerre civile" (revue qui a réellement existé et qui fait référence au bouquin de Marx autant qu'elle témoigne d'une provocation un peu vaine et qui a l'air franchement nulle à chier comme à peu près tout ce qu'a produit philosophiquement le léninisme stalinisé), puis de fomenter une conspiration contre les militaires en divulguant un de leurs plans au parti communiste. (Intéressant en passant pour rappeler que, contrairement à la représentation la plus répandue, les deux guerres mondiales étaient pressenties par les contemporains les plus lucides longtemps à l'avance et non subitement amenées par la tyrannie "antidémocratique" (comprenez antlibérale) qu'elle soit impériale ou nazie (je n'écris pas ça pour justifier les empires centraux et l'Allemagne nazie mais pour rappeler la responsabilité très grande des classes dominantes de tous les pays)).


Évidemment la conspiration ne mène nul part, elle n'occupe pas plus de cinquante pages du roman, et ça se finit par des morts et des larmes comme on peut s'y attendre. Or Paul Nizan qui est né en 1905, enfant de la bourgeoisie industrielle si je ne me trompe pas (à une époque où elle n'était pas encore macroniste et super cool mais plutôt idiote et conservatrice), normalien, connu surtout pour être meilleur pote de Sartre et pour la préface de ce dernier au pamphlet Aden Arabie,membre du parti communiste dans les années 30 et mort pendant la "drôle de guerre" traite, on le voit, d'un milieu qu'il connait très bien. Il raconte en fait sa propre vie. Toute la force du bouquin vient de la charge critique immense parce que très juste qui est portée par l'auteur sur sa propre jeunesse.


Mais au delà de ça le texte est assez fascinant moins pour ces quelques qualités littéraires que pour l'ironie historique très forte qu'il suscite. Nizan se crache dessus sur trois cents pages (et a raison visiblement vue l'inefficience absolue des pratiques du groupe en question, leur incompréhension de la philosophie et le gâchis de la chance immense qu'ils ont d'avoir la vie qu'ils ont, ce qui rend comparativement les surréalistes bien plus sympathiques) mais il anticipe et imagine aussi sans le savoir son propre destin assez misérable. Alors qu'il est aujourd'hui largement oublié et qu'il le sera davantage dans cinquante ans quand Aden Arabie et Les chiens de garde seront dans les égouts, Nizan décrivait dans ce roman qui est resté comme sa meilleure œuvre le suicide narrativement surprenant de Bernard Rosenthal, mort jeune et ambitieux avant d'avoir rien accompli.


Un an plus tard Nizan meurt à Dunkerque après avoir quitté le Parti communiste en raison du pacte germano-soviétique.

DaimyoNitsu
6
Écrit par

Créée

le 17 nov. 2022

Critique lue 312 fois

DaimyoNitsu

Écrit par

Critique lue 312 fois

D'autres avis sur La Conspiration

La Conspiration
ThomasValero
8

Critique de La Conspiration par Thomas Valero

On devrait relire Nizan. On devrait le relire avec envie et non comme une obligation sèche, une injonction. On doit relire La Conspiration parce que ce petit ouvrage est un grand livre. Nizan nous...

le 13 janv. 2017

Du même critique

Salaires, prix et profits
DaimyoNitsu
8

Quelques remarques critiques

Comme tous les textes de Marx il s'agit d'une intervention dans les débats de l'époque en vue de l'émancipation humaine, qui est dans cette partie de la vie de Marx assimilée de manière complexe à...

le 22 mars 2020

7 j'aime

1

Vernon Subutex, tome 1
DaimyoNitsu
6

La comédie parisienne

Qu'on ne s'étonne pas que ce roman plaise aux inrocks et aux milieux culturels parisiens, ils sont l'objet du livre. Vernon Subutex montre plus qu'il ne dit, il servira bien plus de document que de...

le 2 mai 2019

5 j'aime

Le Droit à la paresse
DaimyoNitsu
7

Arrêtons de bosser !

Quand est-ce que vous allez comprendre que cela fait des siècles et des siècles que les humains ont les moyens techniques et scientifiques pour répondre à tous leurs besoins en un minimum d'efforts ...

le 28 mars 2023

4 j'aime

1