Parmi la profusion de nouvelles liées aux Mythes de Cthulhu, celle qui m’aura sans doute le plus marquée est celle-ci : La Couleur Tombée du Ciel. Une vingtaine de pages (selon l’édition) où l’horreur absolue va crescendo.

Howard Phillips Lovecraft, auteur paranoïaque et misanthrope de la première moitié du XXème siècle fut, au même titre qu’Allan Edgar Poe et Ambrose Bierce (moins connu) un écrivain qui donna ses lettres de noblesse à la littérature fantastique. Fondateur des Mythes de Cthulhu, qui influencent encore aujourd’hui la culture dans ses multiples domaines, il imagine un univers où notre monde (réel) fut dominé, dans des temps antédiluviens, par des forces obscures et puissantes repoussées depuis dans les tréfonds de la galaxie, mais qui cherchent à rétablir leur ancienne domination sur l’humanité. Les hommes confrontés à ces horreurs cosmiques n’ont d’autre refuge que de plonger dans la folie. La Couleur Tombée du Ciel est une pièce de ce cycle infernal.

En visite dans la région d’Arkham, Nouvelle-Angleterre, afin d’étudier un projet de réservoir, un jeune architecte apprend l’existence d’une légende qui court à propos d’étranges évènements qui se seraient produits quelques années auparavant dans un lieu nommé la Lande Foudroyée. Dans un premier temps sceptique quant à ces racontars, il prend peu à peu conscience que la désolation du lieu (paysage grisâtre, végétation qui a la consistance de la cendre) n’est pas d’origine naturelle. Il découvre alors que la chute d’une étrange météorite dans le champ d’un fermier du nom de Nahum Gardner fut le déclenchement d’une horreur sans nom.

On découvre le récit de la bouche de Ammi Pierce, voisin et ami de la famille Gardner, témoin direct des évènements qui se sont produits à l’époque. De la chute du météore qui laisse les scientifiques sans réponse, et ses conséquences qui décimeront la famille de fermiers. La couleur (indéfinissable, hors du spectre connu) s’échappe de l’objet céleste, s’infiltre dans les sols, contaminant tout d’abord cultures et végétaux, modifiant leur consistance et leur apparence. Puis, comme cherchant à étendre son emprise et son territoire, la couleur s’acharne sur les animaux, avant de s’immiscer petit à petit dans les êtres humains, plongeant ceux-ci dans une inaltérable folie.

Fidèle au schéma lovecraftien, l’histoire nous entraîne dans un déchaînement d’horreur où tout est suggéré plus que montré. En effet, aucune scène "gore" ne parsème le récit, l’horreur est au-delà ; Lovecraft travaille la matière, notre esprit fait le reste. L’angoisse monte d’un cran à chaque page, on redoute la nuit qui tombe, instant choisi par la couleur pour montrer sa maléfique présence et perpétuer ses obscurs méfaits. L’angoisse attend son apogée dans la scène finale, dantesque effusion d’horreur dont on sait que personne n’en ressortira indemne.
« Quand ils se retournèrent enfin pour regarder la vallée, ils virent un spectacle terrifiant La ferme tout entière baignait dans cette hideuse couleur indéfinissable. »

Bien qu’écrite en 1927, cette nouvelle n’a pas perdu un iota de sa puissance. On a vu depuis l’apparition de nouvelles maladies ou des catastrophes naturelles décimer des populations entières. On a vécu Tchernobyl, ou plus récemment Fukushima. On a grandi en visionnant multiples films d’horreur qui nous ont fait froid dans le dos… et pourtant. Pourtant, La Couleur Tombée du Ciel est encore une de ces histoire qui a le pouvoir de nous faire frissonner même en plein jour.
Peut-être parce que rétrospectivement, la couleur nous évoque-t-elle, dans un climat de pollution écologique très actuel, ce fléau invisible et incontrôlable qui nous menace tous ?
elmatador
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le 16 oct. 2013

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