La morale, tout le monde sait ce que c'est, où du moins, sait de quoi il en retourne. Qui n'a jamais entendu parler de morale de l'histoire, ou de leçons de morale ? Mais, en substance, dans sa quiddité, qu'est-ce que la morale ? Si cette question date sans doute du début de l'Humanité, Nietzsche a quant à lui eu l'idée de lui dresser un arbre généalogique aux racines imbibées de son cher Christianisme qu'il aime tant haïr. Voyons ce que ça donne.
Las des aphorismes, et au pinacle de sa maturité littéraire, Nietzsche divise son texte en trois essais, ce qui rend la lecture déjà moins brouillonne, car avec cette démarche, il tisse le fil conducteur qu'il manquait dans Humain, trop humain.
Dans le premier essai, il oppose la morale de maître à la morale d'esclave. La morale de maître est une pulsion approbative, une force qui approuve tout ce qui procure du plaisir à l'homme, et le pousse donc à accomplir physiquement cette pulsion, sans jugements moraux pouvant servir de barrière. Celui qui arrive à agir ainsi, c'est le bon, mais il y a aussi celui qui en est incapable, par manque de capacités physiques ou d'opportunités, celui-là, c'est le faible, le mauvais. Puis il fait ensuite la distinction entre bon et mauvais et bon et méchant. Les mauvais, incapables d'être des bons, se réunissent entre eux pour cracher leur venin envers les bons, puis se mettent à les traiter de méchants, car les bons accomplissent des actes qui les rendent heureux, tandis qu'eux, mauvais, ces actes, ils sont incapables de les accomplir, donc d'être heureux., Ce constat les rend jaloux (le ressentiment), les pousse à haïr les bons, ce qui engendre une inversion des valeurs.
Cette inversion des valeurs est la morale d'esclave : se rassembler entre mauvais pour pointer du doigt les bons (dans le sens capables de satisfaire leurs pulsions) et les traiter de méchants. Vient ensuite leur loi sacrée : est bon celui qui n'agit pas comme un méchant. Ainsi, les agneaux, incapables de manger de la viande, critiquent les oiseaux de proie, qui se délectent en mangeant de la viande. Leur arme est la culpabilisation, et ils se servent de leur nombre pour décupler le sentiment de culpabilisation avec lequel ils tentent d'ébranler le méchant, qui est souvent solitaire, rendu marginal par ses actions devenues discutables en vertu du code moral instauré par la foule d'agneaux.
Comment ne pas être d'accord avec ça ?! C'est tellement applicable au quotidien ! De toutes les idées et concepts que j'ai lus, celui-ci est sur le podium des plus pertinents, trônant en compagnie du traitement de l'homme comme d'un moyen et non comme d'une fin trouvable chez Kant.
Combien de fois les gens se rassemblent-ils, de nos jours, pour faire culpabiliser un être aux idées atypiques, à l'avis même simplement mesuré ? Cela arrive tout le temps ! Rien que pour ça, le livre vaut le coup d'être lu. Combien d'agneaux pour combien d'oiseaux de proie ?
L'homme qui culpabilise est comparé à un débiteur, il a une dette envers son créancier, soit celui qui le fait culpabiliser. Tant que le débiteur n'a pas payé, le créancier est alors libre de tourmenter son débiteur autant qu'il le veut par, notamment, des sermons et autres coups bas.
Tout ça n'est-il pas encore parfaitement applicable aujourd'hui ?! Dans ce deuxième exposé, il n'oublie pas de tacler la religion, qui a placé Dieu comme un effaceur de dettes, prenant comme exemple tous les criminels qui se repentent en disant avoir trouvé la foi. Ce genre de trucs qui arrive encore de nos jours, surtout en prison. Comme il le dit, le créancier qui se sacrifie pour son débiteur par amour, est-ce croyable ?
La critique de l'idéal ascétique qu'il présente dans la troisième partie, conséquence énorme des valeurs prônées par le Christianisme (si tu souffres, c'est que Dieu t'éprouves, donc t'estimes, alors sois heureux de souffrir !), fait également sens. Avec la phrase entre parenthèses, l'homme croit savoir pourquoi il souffre, donc il s'accommode de cette souffrance et ne fait rien pour en sortir. Nietzsche invite l'homme à briser ce carcan religieux et à devenir ainsi lui-même, qui il est vraiment.
L'œuvre la puissante de Nietzsche, selon moi. La perspicacité et la lucidité du bougre dans ses concepts moraux contribuent à faire de lui un immortel (au sens figuré, hein, Friedrich).