« La guerre de Troie n’aura pas lieu » tragédie moderne possédant également plusieurs aspects de la tragédie classique. L’histoire se déroule juste avant la guerre de Troie comme on peut facilement le deviner au titre. J’ai ressenti la pièce de manière un peu inégale. Si j’ai trouvé certains passages moyens (principalement ceux du début), je dois avouer que d’autres sont parfaits et amènent à une vraie réflexion tout en soulevant de vraies questions (le dialogue Andromaque-Hector Andromaque-Hélène, Hector-Ulysse…).


D’abord Giraudoux à choisi de diviser sa pièce en deux actes s’opposant aux cinq actes de la tragédie classique, s’il brise cette règle il va néanmoins obéir à la règle de l'unité de lieu et de l'unité de temps: tout s'accomplit dans la même ville, Troie, en moins de vingt-quatre heures. L'auteur a donné une structure fermée à son drame, puisque l'action n'attend aucune suite après la fin de la dernière scène; il a également choisi une structure circulaire: la première phrase que déclare Andromaque quand le rideau se lève n'aura sa réponse que vers la fin de la pièce, quand la catastrophe est inévitable :
« La guerre de Troie n'aura pas lieu Cassandre » Acte 1 scène I (et première phrase prononcé dans la pièce)

Elle aura lieu. » Acte 2 scène XIV
Mais Giraudoux a su maintenir l'espoir jusqu'au bout.


Ce livre, c’est également et surtout une critique de la guerre, qui sur le point d’être résolu éclatera pour une question d’honneur puérile, les dialogues d’Hector sur la guerre sont très pertinents avec la notion de respect dans l’affrontement.
« Puis l'adversaire arrive, écumant, terrible. [...] On a de l'amour pour lui. On aime sa verrue sur sa joue, sa taie dans son œil. On l'aime... Mais il insiste... Alors on le tue. » Hector


Cette critique de la guerre est bien légitime, la pièce publiée en 1935 alors à l’aube de la deuxième guerre mondiale, suite à la « Grande Guerre » que tous s’étaient juré de ne pas revivre. Sûrement que l’auteur voyait dans l’ascension de l’Allemagne Nazi une réelle menace, on peut y voir une tentative de nous prévenir de l’horreur qui allait suivre.


Et comme on le voit dans la pièce la guerre est stupide, elle va se créer sur un malentendu et de l’orgueil, Hector aura tout fait et mis de côté son honneur pour négocier avec les grecs, alors qu’il y est arrivé, il va se faire saboter son plan par le poète Demokos qui pour « l’honneur des Troyens » va déclencher la guerre.

Guerre qui n’a pas de raison si ce n’est le destin


" Andromaque : Je ne sais pas ce qu'est le destin.


Cassandre: Je vais te le dire. C'est simplement la forme accélérée du temps. C'est épouvantable. "


La guerre malgré tous les évènements semble inévitable. Dès qu’un problème est résolu un autre apparait et comme le dit Ulysse à Hector


« À la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d'un lac, dans l'angle d'un jardin. Et ils conviennent que la guerre est le pire fléau du monde, et tous deux, à suivre du regard ces reflets et ces rides sur les eaux, à recevoir sur l'épaule ces pétales de magnolias, ils sont pacifiques, modestes, loyaux. Et ils s'étudient. Ils se regardent. Et, tiédis par le soleil, attendris par le vin clairet, ils ne trouvent dans le visage d'en face aucun trait qui justifie la haine, aucun trait qui n'appelle l'amour humain, et rien d'incompatible non plus dans leur langage, dans leur façon de se gratter le nez et de boire. Et ils sont vraiment comblés de paix, de désirs de paix. Et ils se quittent en se serrant la main, en se sentant frères. Et ils se retournent de leur calèche pour se sourire…
Et le lendemain pourtant éclate la guerre… Ainsi nous sommes tous deux maintenant… Nos peuples autour de l'entretien se taisent et s'écartent, mais ce n'est pas qu'ils attendent de nous une victoire sur l'inéluctable. C'est seulement qu'ils nous ont donné pleins pouvoirs, qu'ils nous ont isolés, pour que nous goûtions mieux, au dessus de la catastrophe, notre fraternité d'ennemis. Goûtons-la. C'est un plat de riches. Savourons-la… Mais c'est tout. Le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse. »


Au cours de l’histoire on a une dose de surnaturel pour rester dans l’esprit de l’Iliade qui avant d’être un conflit entre les hommes est une querelle entre les dieux. C’est ainsi que va être personnifié, la paix qui parlera à Hélène et Cassandre et indirectement la guerre qui apparait comme un personnage à plusieurs moments : « Braves devant l'ennemi, lâches devant la guerre. C'est la devise des vrais généraux. ». On a également la messagère des dieux dans l’Iliade, Iris qui rapporte la pensée des dieux qui ont chacun leur avis : Aphrodite annonce que si Pâris et Hélène sont séparés ce sera la guerre, Pallas elle, déclare que si Hélène n’est pas séparée de Pâris ce sera la guerre, enfin Zeus les informe qu’il désire qu’on sépare Hélène et Pâris sans les séparer complètement et que si une guerre éclate ce sera une grande guerre. Devant la problématique divine il est impossible pour des mortels de trouver une solution.


Les personnages sont plutôt contrastés. Si Le poète Demokos est clairement le personnage qu’on va détester, en y pensant il n’est pas si mauvais, juste aveugle et un peu bête. Les femmes, Andromaque (d’ailleurs ses paroles sur l’amour sont très touchantes quand on connait la tragédie de Racine) et Hécube (pour elle on peut soupçonner un peu de jalousie, son mari le roi de Troie Priam étant complètement fou d’Hélène) avec Hector représente la vertu c’est nécessaire pour équilibrer le climat tendu et amener un espoir que cette guerre inévitable soit déjouée. Même si on connaît la suite, surtout à la fin de la pièce on ne peut s’empêcher un peu d’espoir. Le personnage de Pâris est assez attachant, on le sent perdu et follement amoureux d’Hélène, amour pas complètement réciproque d’Hélène qui l’aime bien mais le voit presque comme un jouet. Hélène peut paraitre détestable de prendre à la légère l’implication d’un prince qui va emmener sa cité en guerre par amour, mais elle n’est pas vraiment méchante, elle semble tout au long de la pièce tellement inconsciente qu’elle en devient touchante à certains moments.


Jean Giraudoux nous livre une réécriture de l’Iliade d’Homère se réappropriant des personnages mythiques, il va s’intéresser à l’avant guerre de Troie et nous dresser des portraits philosophiques variés dans une œuvre qui dénonce la guerre au XXème siècle, on ne peut s’avoir si l’œuvre a un caractère visionnaire et prévient de la deuxième guerre mondiale mais c’est une possibilité à laquelle on peut facilement croire au vu de sa position. Ce qui caractérise l’œuvre s’est également la notion de destin souvent évoquée par la pessimiste Cassandre qui affirme qu’elle voit la guerre arriver.
L’homme dans ce récit semble impuissant, soumis à une force qui le dépasse, car seuls les dieux ont les clés du destin et le destin est déjà tracé, l’histoire déjà écrite !

nicolas68
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le 1 oct. 2017

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Nicolas68

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