Historienne des idéologies politiques révolutionnaires, Sophie Wahnich (que j'ai découvert à l'occasion d'une conférence organisée par 'Le Vent se lève') proposait avec ce court ouvrage une synthèse, quelques années après le bicentenaire de la Révolution, et immédiatement après l'irruption du terrorisme en Occident avec le 11 septembre, une réflexion sur ce qu'a pu être la "Terreur" révolutionnaire.


Ni la première, ni la dernière, elle reprenait la maxime célèbre de Danton : "Soyons terribles, pour dispenser le peuple d'avoir à l'être." Mais sa démonstration est passionnante, dans la lignée de ses réflexions sur le rôle des sensibilités en révolution : il est impossible de comprendre la violence, exercée depuis 1789 mais paroxystique à partir de l'été 1792 jusqu'à l'été 1794, si l'on ne l'associe pas aux éléments de sacralité qui fondent la théorie politique des révolutionnaires, du peuple et des députés radicaux. La conquête d'un corpus politique de libertés et de droits naturels durant les années 1789-1791 a conduit les révolutionnaires à sacraliser la révolution et la patrie, et donc à faire pénétrer dans l'arène politique des notions d'interdit, de trahison, d'absolu et d'inhumanité. Une succession d'évènements (la trahison de Louis XVI, la guerre contre la Prusse et l'Autriche, l'inaction des députés après le 10 août), qui suscitent "l'effroi" des révolutionnaires, conduit à la décision des sections parisiennes des sans-culottes d'exercer un droit de vengeance, juste rétribution de la violation de la sacralité : les massacres de septembre 1792. Comme Sophie Wahnich le rappelle, la "terreur" n'est pas un déchainement mais une nécessité, un devoir que l'on accomplit à contrecoeur, dans la mesure où la justice n'a pas été rendue.


Et c'est dans cette optique que les conventionnels de l'an II, Danton, Robespierre, Saint-Just, etc., décident d'institutionnaliser la violence politique, l'inflexible et prompte vengeance des lois, contre ceux que ces lois désigneront comme les ennemis : les lois de terreur, majoritairement celles de 1793 (S. Wahnich évoque la loi de "grande Terreur" de prairial an II comme une exception de forte violence alors que les périls ont quasiment disparu, mais ne revient malheureusement pas dessus...), ces lois doivent répondre aux aspirations de justice exceptionnelle du peuple avant que celui-ci ne se décide à l'organiser lui-même. Dans un premier temps, ces lois aspirent à éteindre la spirale de violence, notamment en emprisonnant bien plus qu'en guillotinant (le rapport entre les "suspects" arrêtés et ceux guillotinés est ainsi très explicite en 1793) : cet intermédiaire symbolique qu'est le Tribunal révolutionnaire répond ainsi aux demandes de paix et de justice des deux camps. La loi des suspects ne doit pas être vue comme une vision paranoïaque d'une caste politique assoiffée de sang, mais comme une tentative de circonscrire le champ des contre-révolutionnaires, sans volonté de les exterminer.


Enfin, comme l'historienne le rappelle, ce sont les Thermidoriens, les monarchistes du Directoire, qui qualifieront cette période de l'an II de "terroriste", extirpant des mains du peuple le pouvoir que lui et la Convention avaient exercé conjointement dans cette période d'exceptionnelle violence. En montrant ce moment non comme une tentative de juguler les émotions populaires par le règne de la loi, non comme l'exercice de la volonté inflexible de la souveraineté populaire et de la liberté face au péril de la mort civique (la vie politique étant aux yeux des révolutionnaires plus importante que la vie physique), mais comme un massacre et une paranoïa généralisée, les Thermidoriens instituaient une légende noire à même de sanctionner et légitimer leur pouvoir bourgeois dictatorial, fait d'ordre et d'autorité patriarcale, et écartant le peuple du processus décisionnaire, à l'image de Boissy d'Anglas énumérant au peuple les mesures prises par l'Assemblée sans jamais s'adresser à lui.


Citons Danton pour terminer, qui résume à lui-seul comment doit être comprise cette période (intervention à l'Assemblée, 10 mars 1793) :

Puisqu'on a osé, dans cette Assemblée, rappeler ces journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi [les massacres de septembre 1792], je dirai, moi, que si un tribunal eût alors existé, le peuple, auquel on a si cruellement reproché ces journées, ne les aurait pas ensanglantées ; je dirai, et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont été les témoins de ces évènements, que nulle puissance humaine n'était dans le cas d'arrêter le débordement de la vengeance nationale. Profitons des fautes de nos prédécesseurs. Faisons ce que n'a pas fait l'Assemblée législative, soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être. Organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis [...], que le monde soit vengé.
Alexandre_Gauzy
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le 11 mai 2024

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Alexandre G

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