Comme Erving Goffman le souligne très bien lui-même dans sa conclusion, parler du monde et des interactions prenant place au sein des sociétés humaines comme des représentations théâtrales est un lieu commun connu - et peut-être méprisé - par beaucoup de lecteurs.
Pourtant, c'est ce cliché qui offre à l'auteur le vocabulaire permettant d'étudier les interactions entre individus comme des représentations : chaque individu participant à une interaction sociale joue tour à tour le rôle de l'acteur et du public de cette interaction. En ce sens, il appartient à une multitude d'équipes (sa famille, ses amis, ses collègues...) dont les objectifs sont de maintenir la définition de l'interaction en train de se dérouler, pour éviter les faux-pas et gaffes faisant perdre la face. Pour cela, les équipes doivent s'organiser et s'adapter ; les lieux où la représentation a lieu et où elle est préparée doivent être habilement séparés ; le public doit quant à lui faire preuve de tact pour préserver le bon déroulement de l'interaction, etc.
Tenter de résumer ainsi tout le raisonnement de l'auteur serait lui faire injure et surtout vous priver des nombreux exemples adéquatement choisis qui parsèment l'ouvrage. Qu'ils proviennent de romans, d'études d'autres sociologues ou bien de récits relatés par Goffman lui-même, ces derniers illustrent merveilleusement le propos en lui apportant une dimension nouvelle, sans pour autant le dénaturer ou le simplifier.
En bref, Erving Goffman réussit là où beaucoup de ses confrères ont échoué ; la mise en scène de la vie quotidienne est un ouvrage qui a l'ambition démesurée d'analyser, de décortiquer et surtout d'expliquer le déroulement et les motivations de la totalité des interactions sociales des sociétés occidentales, dans ce qu'elles ont de plus retors et alambiqué. Si cette ambition fait aujourd'hui sourire et a été abandonnée par la majeure partie de la profession, la première moitié du XXe siècle a vu bon nombre de chercheurs s'échiner à tenter d'écrire LE grand ouvrage de sociologie moderne. La lecture de sa deuxième partie (les relations en public) rendra la sentence définitive sur le succès de l'auteur.
En s'abstenant de tout jugement moral et en poussant si loin la précision de son analyse, la mise en scène de la vie quotidienne est un ouvrage éclairant, représentant idéal du pari de la sociologie : comprendre et expliquer, sans juger. Un livre que je recommande à tout le monde.