La Modification
6.8
La Modification

livre de Michel Butor (1957)

Quand ce type d'ouvrage m'enthousiasme autant, il faut bien le reconnaître... "La Modification" est un livre difficile à pénétrer. Il faut une dizaine de pages pour s'habituer à la narration à la 2ème personne du pluriel : c'est un récit immersif, impératif, injonctif, presque conçu comme ce Guide bleu de voyage que le "narré" emporte partout avec lui à Rome. Vous êtes le personnage, vous allez faire ce que le livre vous dit. Vaste réflexion sur le rôle de l'auteur et du lecteur, au coeur du mouvement du Nouveau Roman dont Butor est un fer de lance.


Mais au-delà, 'La Modification' relève véritablement de l'expérience narrative : entremêlant constamment les temporalités et les récits, suscitant les souvenirs de ceux qui connaissent Paris et Rome par des descriptions toujours plus justes et précises, ce roman, bâti sous la forme d'une mise en abyme, le voyage entre Paris et Rome du "narré" étant l'occasion d'une introspection continuelle dans les souvenirs d'autres voyages, avec l'épouse Henriette à Rome avant la guerre, avec l'amante Cécile vers Paris (désastre s'il en est, vite réparé par les "retrouvailles" avec Rome), ce roman joue avec l'attention du lecteur qui néanmoins reconnaît toujours la temporalité qui est alors évoquée. Par une habile maîtrise des repères (que ce soit les différences de peintures accrochées au-dessus des banquettes des trains, toutes liées à des monuments ou des paysages franco-italiens), Butor tisse une trame qu'il nous est impossible de ne pas suivre : évidemment, c'est la nôtre, celle du narré.


Il y aurait d'innombrables éléments à commenter dans ce roman complexe : la justesse des sentiments d'un homme confronté aux désillusions de l'amour, les parallèles entre l'écriture du roman et le roman s'écrivant, la confusion entre narrateur et narré, les analogies entre la femme et l'amante, entre l'amante et Rome, ces rêves sans discontinuité narrative qui font du narré un accusé auprès des grands hommes romains (papes, empereurs), les culpabilités et (ir)résolutions continuelles, consécutives d'un cheminement mental que l'on voit se dérouler sous nos yeux, retranscrivant inlassablement la complexité de l'esprit humain, et surtout l'authenticité qui apparaît évidente à tout ceux qui ont passé des heures à contempler le paysage à travers la vitre d'un train, que vous ayez rejoint Rome depuis Paris, que vous vous appeliez Pierre ou bien Agnès, ou que vous soyez un curé rejoignant votre femme pour le repas.

Alexandre_Gauzy
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le 24 mai 2020

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Alexandre G

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