Et soudain, Laurent Gaudé est apparu dans mon univers de littérature française (assez peu exploré il est vrai) sous la forme d'une double révélation, combinée avec une confirmation.


Ainsi donc, il existe (révélation n°1) en France des auteurs contemporains qui sont capables d'écrire sur d'autres thèmes que leurs souvenirs traumatiques ou leurs vies misérables, sans être pour autant privés de prix prestigieux ou d'hommages compassés de la presse ? Comprenez-moi, c'est une des raisons qui ne m'a jamais poussé aux portes des librairies au rythme parfaitement cadencé des rentrées littéraires. La première étant que je travaille en partie dans l'un de ces points de vente, la seconde tenant en une crainte de surcharge pathosale: on trouve largement notre dose d'épanchement personnel sur SensCritique (si si, je le sais, j'en suis même un de ses représentants les plus pathétiques) et je n'ai jamais été convaincu que la différence de talent entre les deux sources d'apitoiement vaille la peine de remplir un peu plus mes étagères.


Par dessus le marché -un peu déclinant-, ces auteurs (mais sont-ils nombreux ?) seraient même capables (révélation n°2) de s'attaquer au faux récit historique, aux mythes imaginés, sans pour autant se voir condamnés à être rangés dans les sous-familles de genres de nos rayonnages (sous-familles un peu honteuses quand on les compare à la littérââture) telles que la SF ou la fantasy ? Le mystère s'épaissit-il si l'on ajoute que l'auteur est un type sérieux, dans la mesure où l'animal de concours obtiendra le plus prestigieux de tous les prix au moment de la parution de son ouvrage suivant ? A moins que cela n'éclaircisse tout, au contraire: il parait que le talent permet non seulement toutes les audaces mais aussi de jeter les ponts entre les univers les plus éloignés.


La confirmation est, elle, moins glorieuse. Il s'agit de la puissance et de l'inanité combinées d'un préjugé, sur un spécimen raisonnablement stupide comme l'auteur de ces lignes. Croyez-le ou non, parce qu'il m'avait toujours été recommandé par des collèges libraires filles, je considérais Laurent Gaudé comme un auteur pour public féminin. La chose en dit long sur le travail qu'il reste à accomplir, même à certains de ceux qui s'estiment convaincus de la nécessité de travailler sur les notions de genres pour effacer les inégalités -nombreuses- qui subsistent dans nos civilisations évoluées. Car même fondé, ce préjugé aurait mérité une profonde analyse, pour essayer de déterminer ce qui, dans la littérature comme dans tout le reste, appartient à un sexe et ce qui appartient à un autre.


Et nous voilà face à un récit court et épique, gorgé jusqu'à la gueule d'idées, ce qui en fait quelque chose de rare. Il ne verse ni d'un côté dans l'étude psychologique propre aux auteurs abonnés aux rentrées littéraires mentionnées plus haut, ni de l'autre dans l'étirement jusqu'à la corde d'une trame comme l'aurait sans doute fait un auteur de type George R.R. Martin, puisqu'ici, c'est en à peine 200 pages qu'un roi meurt et que sa descendance se voit déchirée par les rancœurs, les jalousies et les années.
On se dit que parfois les producteurs hollywoodiens seraient bien inspirés d'aller puiser leurs eaux à d'autres sources que celles de la littérature adolescente ou strictement de genre (non pas qu'elle soit forcément moins bonne, mais ça limite naturellement le spectre). On repense alors aux dernières adaptations vues en salle, et on se dit que tout compte fait, il est bon que le roi Tsongor reste à tout jamais un songe lointain peuplant notre inconscient littéraire.

guyness
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le 5 avr. 2018

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