Ce court livre de 1993, le cinquième roman d’Eric Chevillard, écrit en fragments, souvent illogiques, se trouve au croisement des histoires pour enfants, de la poésie, de l’absurdité, de Bouvard et Pécuchet, du grand éclat de rire.

Créature improbable, Crab, le héros de ce livre, est un être idiot, fantasque et féerique. Il est décalé, gêné de son corps, il se contredit, - un véritable être humain en somme -, même s’il se mélange souvent au règne animal.

Lire Chevillard est un remède sûr au désespoir de la vie ordinaire.

Choisir une citation est tâche difficile, et tellement facile… Toutes les phrases du livre méritent des étoiles.

«Crab se serait bien passé de cette langue en cire. Comment voulez-vous vivre avec une langue en cire ? Il doit faire sans cesse attention à ce qu’il mange. Ainsi, pas de boissons chaudes pour Crab, pas de tisanes, pas de café. Et pourtant la question de l’alimentation n’est pas la plus préoccupante – pas de viandes fumantes non plus, bien évidemment, ni de gratinées, des mets simples servis frais (légumes, fruits), crémeux ou pâteux de préférence (fromages mous, flans), mais Crab trouve à se nourrir -, sa principale inquiétude concerne le durcissement inéluctable de sa langue. Afin de le ralentir, Crab est obligé de parler continuellement, quitte à ne rien dire d’intéressant – et comment tiendrait-il sans répit son auditoire suspendu à ses lèvres ? Il y a inévitablement des moments creux dans son discours, des baisses de rythme, de fâcheuses répétitions. Si Crab était enfin libéré de cette contrainte, il pourrait enfin n’intervenir qu’à bon escient, on mesurerait mieux l’importance de ses rares paroles, ses observations judicieuses seraient réputées telles, son avis ferait autorité. Seulement, il ne faut pas y compter. Que Crab se taise et sa langue aussitôt se figera définitivement dans sa bouche. Il parle donc, il dit n’importe quoi, une chose et son contraire, que l’éléphant devrait se vêtir de daim, et on s’imagine qu’il délire, tandis qu’il lutte contre la mort.»
MarianneL
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le 19 août 2013

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