Ce roman a été important pour ne pas dire essentiel lors de mon adolescence vers 14 ou 15 ans. Après ça, je l'ai relu à plusieurs reprises au point qu'il devint un ouvrage de référence incontournable.
Indéniablement, c'est un roman très riche qui m'a ouvert bien des portes à travers lesquelles des questions étaient posées (que je me posais) et un embryon de réponse proposé, alimentant ainsi des pistes de réflexion personnelle. Je ne connais guère que les romans ou les pièces de théâtre de Camus. Je n'ai jamais lu ses livres de philosophie (trop complexes pour moi ou a minima, faisant appel à des connaissances ou des références que je n'ai pas ou que je n'ai pas eu le temps d'acquérir). Et j'ai toujours supposé que les romans de Camus étaient finalement un outil de vulgarisation, pratique, de ses idées. La forme du roman, plus didactique, permet (peut-être) de se mettre en situation et d'accéder plus aisément à des idées plus théoriques.
Les sujets abordés dans "la Peste" me concernent beaucoup plus que ceux amenés dans d'autres de ses romans me touchant moins comme "l'étranger" ou encore "la Chute".
Le roman évoque l'itinéraire et le comportement de plusieurs personnes pendant une épidémie de peste qui ravage une ville au bord de la mer en Afrique du Nord, Oran, qui finit par être confinée et isolée du monde.
L'homme, s'il veut survivre sur Terre, n'a d'autre choix que de se prendre par la main. Il est fondamentalement seul. S'il s'allie à d'autres hommes et se constitue en société, il pourra être plus fort. Solidarité, humanisme et amour sont les maîtres mots. Il n'existe aucune entité autre qu'humaine qui puisse l'aider.
Chacun des personnages est de type, origine, contexte socio-culturel, morale différents et va devoir choisir sa voie : le docteur Rieux en première ligne, l'employé de bureau Grand, le trafiquant Cottard, Paneloux le curé, Tarrou l'humaniste et Rambert le journaliste.
Deux niveaux de lecture de ce roman.
Etant donné le contexte d'écriture (années 40), un premier niveau est assez évident. La peste me semble être une image du nazisme contre quoi la lutte doit s'organiser pour se libérer du fléau. Et même, le fléau vaincu, il convient de se souvenir qu'il n'est que vaincu et pas mort, il peut à tout moment ressurgir. Ce que certains, aux extrêmes, aujourd'hui, tentent de nous convaincre du contraire.
Paneloux, en première approche, représente l'impasse de la religion qui ne parvient pas à condamner l'horreur de la Peste et considère que les hommes portent en eux la responsabilité ou la culpabilité.
Tarrou, Rieux, Rambert, Grand puis plus tard, à titre personnel seulement, Paneloux en pleine faillite intellectuelle et le juge Othon s'engagent
Les comportements de tous ces personnages recouvriront le combat direct contre le fléau (la Résistance), l'asservissement et/ou la recherche du profit personnel (la Collaboration ou le trafic), la fuite ou l'indifférence.
Un deuxième niveau de lecture correspond à l'approfondissement de l'analyse de chacun des héros et tente d'en décrypter les itinéraires et les raisons/motivations de leur engagement.
Ainsi Rieux a toujours été l'homme de devoir et ne se pose pas de question sur l'attitude à adopter ; il n'aime pas qu'on parle de lui. Il incarne dans le roman l'humanisme de base. Issu du peuple, son combat s'appuie sur une intransigeante morale et une énergie farouche.
Tarrou est le héros complexe du roman : fils d'un procureur général qui administre la peine de mort comme un toubib de l'aspirine, il s'interroge constamment et s'intéresse à de graves questions comme à des choses insignifiantes (le vieux qui crache sur des chats du haut de son balcon) ; son itinéraire a d'abord été la fuite avant de trouver l'apaisement et une raison de vivre dans le combat contre la peste. Désormais, il convient de se battre même pour les choses insignifiantes qui ont toutes de l'importance, peut-être même plus que les grandes idées.
Peut-on être un saint sans Dieu, c'est le seul problème concret que je connaisse aujourd'hui
Paneloux, le curé, est aussi une personne intéressante. Sa foi et la religion à laquelle il appartient le font tenir des propos qui ne surprennent pas de la part d'un catholique en prêchant la culpabilité collective.
Peut-être devons-nous aimer ce que nous ne pouvons pas comprendre, ose Paneloux
Non, mon père, répond violemment Rieux, je me fais une autre idée de l'amour. Et je refuserai jusqu'à la mort d'aimer cette création où des enfants sont torturés*
Mais dès lors que Paneloux met les mains dans le cambouis, sa nature humaine réapparaît.
Ah, docteur, fit-il avec tristesse, je viens de comprendre ce qu'on appelle la grâce
C'est alors qu'il prend conscience de la vanité de sa foi, de l'inutilité de vouloir convaincre Rieux et qu'à titre personnel, il s'engagera totalement dans la lutte.
Il y a un autre personnage que j'aime bien et qui est intéressant, c'est Joseph Grand qui fait partie des gens insignifiants mais profondément humains. Peut-être que Camus aime en lui ce besoin d'écrire, ce besoin d'écrire parfaitement ; En tous cas il en fera un héros ordinaire, un rouage essentiel de la lutte contre la peste.
Et s’il faut absolument un héros dans cette histoire, le narrateur propose justement ce héros insignifiant et effacé qui n’avait pour lui qu’un peu de bonté de cœur et un idéal apparemment ridicule. (en substance)
La Peste est un roman qui n'a, pour ce qui me concerne, jamais perdu de sa force.