Pour un supposé ouvrage de philosophie, ce livre frappe par la faible place occupée par des arguments ou des démonstrations. L'auteur considère comme évident que les idées défendues par les "wokes" sont absurdes, aussi ne s'efforcera-t-il généralement pas de le justifier, mais simplement de souligner à quel point le comportement des "wokes" peut s'apparenter à une forme de folie, ou de fanatisme religieux. L'ouvrage consiste ainsi principalement en une compilation des citations les plus contestables d'auteurs "wokes" très divers, supposée provoquer chez le lecteur non-averti une forme de stupéfaction ("comment est-il possible de dire ca ???" etc) qui finit par devenir assez lassante vers la fin du livre.

A vrai dire, la dimension religieuse du "wokisme" n'est surtout mentionnée que dans le premier chapitre de l'ouvrage, les trois suivants se contentant de réaffirmer qu'il s'agit d'une religion oppressante, fanatique, anti-science, sans justifier plus que cela l'usage du terme religion. Le livre aurait mieux fait de s'appeler "la folie woke" ou même "qu'est-ce que le wokisme ? ce courant que je n'aime pas."

Ce fameux premier chapitre, qui est celui qui prend le plus au sérieux l'idée de religion, rattache le "wokisme" au déclin du protestantisme américain. L'idée n'est pas très originale, et contient sans doute une part de vrai, même si l'auteur oublie un point important : c'est que ce n'est pas parce qu'un groupe adhère de manière religieuse à une théorie que celle-ci est fausse.

Dans cette généalogie du "wokisme", l'auteur tient toutefois à épargner deux courants de toute influence majeure dans l'apparition du "wokisme" : le communisme, et la "French Theory".

Pour le premier point, c'est d'autant plus étonnant que l'auteur le compare (référence obligée quand on veut aujourd'hui critiquer le "wokisme") à une forme de lyssenkisme. Les multiples éléments exploitables dans le marxisme pour une pensée "woke" sont totalement ignorés.

Pour le second point, l'auteur, qui semble apprécier Foucault, cite quelques passages de son oeuvre supposés incompatibles avec le "wokisme" : Foucault aurait cherché à ôter toute légitimité aux identités fixes du sujet, là où le "wokisme" réintroduirait ce genre d'essentialisation. Mais Braunstein devrait être au courant, puisqu'il critiquait ce point plus haut dans l'ouvrage, du fait que les identités défendues dans le "wokisme" sont fluctuantes et que c'est justement ce point qui peut trouver une source d'inspiration dans les pensées de la déconstruction de la French Theory.

Il semble tout simplement que Braunstein, en bon universitaire, ait du respect pour la gauche incarnée par les marxistes et les soixante-huitards, alors qu'il n'en a pas pour la nouvelle gauche incarnée par le "wokisme" (expression dont la légitimité n'est jamais critiquée à aucun moment dans l'ouvrage). C'est pourquoi il faut à tout prix préserver les marxistes et Foucault de toute influence majeure dans l'apparition du "wokisme".

Il est difficile, en lisant la manière dont Braunstein présente les théories "wokes", de se convaincre qu'il les a exposées sérieusement. Evoquant le poncif d'un "retour du racisme" à travers le "racialisme woke", Braunstein parvient à écrire que les races évoquées sont certes des constructions sociales et non des entités biologiques, mais que cela ne change rien.

Braunstein reproche d'ailleurs aux théories attaquées des points qui ne devraient pas scandaliser un philosophe un tant soi peu connaisseur de l'histoire de la philosophie : est-il si choquant que cela d'affirmer que l'esprit peut s'émanciper du corps, ou que certaines motivations subjectives interviennent dans l'activité scientifique et sa prétention à l'objectivité ?

Soulignons malgré tout les qualités de l'ouvrage : outre sa grande clarté, il mentionne de temps en temps (mais malheureusement, sans approfondir), quelques uns des arguments les plus efficaces contre le "wokisme", à savoir :

- l'absence de signification des mots homme ou femme, si ceux-ci peuvent renvoyer à l'expression de n'importe quel sentiment.

- la non-falsifiabilité, et donc la non-scientificité, d'un certain nombre des théories concernées.

- l'impossibilité de satisfaire toutes les demandes des concernés sans faire courir un risque objectif à d'autres catégories de personnes (par exemple les femmes dans les compétitions sportives).

De manière assez intéressante, Braunstein fait remarquer que c'est la transidentité qui constitue le fer de lance de la doctrine "woke", car les trangenres incarnent au plus haut point l'idée d'une auto-définition de l'identité par l'esprit seul, là où les autres identités restent encore définies par des structures historiques ou sociales.

Mais de manière générale, l'ouvrage, qui n'est certes pas désagréable à lire, semble prêcher à des convaincus. Un lecteur un tant soi peu convaincu par les idées dites "wokes" ne se remettra pas en question à la lecture de l'ouvrage. Quant aux lecteurs désireux de découvrir la signification du mot "woke", il y aurait sans doute des ouvrages plus neutres à leur recommander.

DAnselme
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le 21 juil. 2023

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