Laurent Binet, dans ce deuxième roman fait un pari risqué : évoquer la sémantique, l'atmosphère intellectuelle des 80's Parisiennes à travers une enquête policière mêlant interprétation déjantée, complots politico-médiatiques et campagne présidentielle.
Si la première partie de l’enquête, se déroulant à Paris est dépeinte par l'auteur de manière appropriée, combinant réflexions sémantique, relations entres les divers intellectuels et portrait des deux protagonistes principaux, la deuxième peine à convaincre et se dévoie de son propos initial.


Roland Barthes, auteur de Mythologies ou encore Fragments d'un discours amoureux est une figure du Paris intellectuel des années Giscard, écrivain et enseignant de renom, il meurt accidentellement en 1980, renversé par une camionnette. Laurent Binet trouve dans les circonstances de celle-ci matière à tisser une enquête grotesque, prompt à vulgariser l'art de la sémantique avec humour. Le célèbre intellectuel venait tout juste de rencontrer Mitterrand, en quête de soutien de poids dans la campagne à venir. C'est ainsi que s'initie l’enquête dans laquelle l'auteur de "HHhH" nous plonge, comme Bayard y embarquera de force Simon.


Si Foucault, Deleuze, Derrida, Sollers ou BHL y sont portraiturés de manière burlesque, cela ne dessert pas la première partie du roman -désolé Yann Moix- qui malgré un style plus que dépouillé tient son lecteur en haleine, à coups de digressions sémantiques, de Foucauldian backrooms mais surtout grâce au duo Bayard/Simon, dont les différences ne font qu'accentuer le piment de l’enquête relation.


Mentionnant James Bond :



Il commet des infractions, des délits, des crimes même, mais il est couvert, il est autorisé, il ne sera pas grondé, c'est la fameuse "license to kill", le permis de tuer signifié par son matricule, ce qui nous amène aux trois chiffres magiques : 007. Double zéro, c'est le code pour le droit au meurtre, et ici, on voit une application géniale de la symbolique des chiffres. Comment pouvait-on représenter le permis de tuer ? 10 ? 20 ? 100 ? Un million ? La mort n'est pas quantifiable. La mort, c'est le néant et le néant c'est zéro. Mais le meurtre, c'est plus que la mort toute simple, c'est la mort infligée à autrui. C'est deux fois la mort, la sienne, inévitable, et dont la dangerosité du métier (l'espérance de vie des agents doubles zéro est basse, cela est souvent rappelé), et celle de l'autre. Double zéro, c'est le droit de tuer et d’être tué.



Tandis que le développement de l’enquête s'agrée de considérations politiques, les réflexions sémantiques se dispersent et se font de plus en plus rare, dépossédant l'ouvrage de son parfum le plus délicat. D'autant plus que les analyses politiques sont très maigres et que l’enquête se fait longue et répétitive. Dans cette déliquescence, seule subsiste la relation entre les deux enquêteurs, évoluant au gré des mésaventures, faites de tentative de meurtre par des bulgares, d'un Philippe Sollers dépossédé de sa virilité ou encore d'un Derrida déchiqueté dans les aboiements.


Le final est d'autant plus décevant que toute la dimension burlesque de l’enquête, cette absurde recherche d'une fonction soi-disant performative qui pourrait convaincre instantanément n'importe qui se retrouve véritable, usée par Mitterrand lors du débat de l'entre-deux-tour, alors que l'épisode de la désillusion de Sollers lors de son essai face au Grand Protagoras aurait simplement suffit à appuyer la dimension comique de cette enquête et le ridicule de ses deux protagonistes.

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le 4 janv. 2017

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