Aïe, le travail de la terre, on le sait, ça fait mal. Surtout avant la mécanisation de l'agriculture. Mal au dos, aux reins, aux mains. A l'âme aussi quand la terre sainte, la terre bénie, baptisée par la sueur de la paysannerie, est menacée, moins dans son éternelle fertilité que dans son intégrité, quand ses parcelles sont convoitées, morcelées et que plusieurs d'entre elles sont abreuvées du sang des perdants.
Avec "Germinal" et "L'assommoir", voici sans doute le roman le plus noir de la série des Rougon-Macquart. Ici aussi la violence est omniprésente, plus physique, plus viscérale, comme innée. Elle semble naître des êtres, et seulement dans une moindre proportion de l'environnement social. Animée des haines ancestrales entre les familles, attisée par la convoitise et la bêtise, ensemencée par l'ignorance. Elle accouche d'immondes triplés : la rapacité, le crime et le mensonge.
La plume naturaliste de Zola se fait dure dans ce récit rustique qui décrit les liens unissant les paysans à la terre cultivée. Aucune beauté de la nature prolixe ni aucune bassesse de l'homme vicié ne semblent devoir échapper à sa chronique sociale et familiale. Comme dans "Germinal", mon sang s'est plus d'une fois figé dans mes veines au spectacle des violences qui baignent le roman du début à la fin.
Au-delà de la fiction, ce qui frappe également, c'est l'incroyable actualité des analyses économiques de l'auteur. Le Zola journaliste transparaît dans les propos réalistes et visionnaires touchant l'avenir de l'agriculture, les méthodes de culture et les dangers de la mondialisation. On admirera l'acuité de Zola, cette faculté qu'il possède d'anticiper les changements et les évolutions, tout comme il proclamait la mort du commerce artisanal de proximité dans "Au bonheur des dames". Le lecteur d'aujourd'hui ne peut s'empêcher de tracer des parallèles malgré les presque 150 ans qui le séparent du Second Empire.