La tombe des Lucioles de Nosaka Akiyuki est en fait un recueil de deux nouvelles, aux styles très différents. Le contraste offert par l'oeuvre dans son ensemble, surtout quand on s'intéresse au passé de l'auteur et au contexte tragique de son écriture, est saisissant.

La première nouvelle, la plus connue car largement vulgarisée par le sublime film d'Isao Takahata, (co fondateur des studios Ghibli) "Le tombeau des Lucioles" est la plus intense et la plus bouleversante.
Cette nouvelle m'a désarmé par sa sobriété et son écriture directe, sans fioritures. La description de l'action y est tellement crue et neutre que j'ai relu plusieurs fois certains passages. Par peur d'avoir bien compris. Et c'était le cas. J'ai donc brusquement pris conscience du poids des mots dans cette nouvelle. Elle fait moins de cinquante pages, mais je vous garantis que chaque mot a son pesant d'or.
Elle m'a également remis droit dans mes bottes en me faisant comprendre que la violence d'aujourd'hui, largement édulcorée par son omniprésence dans la plupart des médias, est surtout devenue banale. Dans "La tombe des Lucioles", Nosaka Akiyuki raconte la mort en utilisant une autre violence. Celle subie par le héros et de sa famille, lors des bombardements du quartier de Sennomiya, à Kobe, en 1945, peu avant la reddition Japonaise. La violence de la survie et de l'égoïsme, la violence "vraie" d'une époque et d'une société à part. Une société perdue par sa propre propagande et son extrême docilité envers les autorités. On y retrouve ses conflits, ses incompréhensions et ses luttes pour la survie. Mais on voit également la violence que se fait l'auteur pour raconter cette histoire, son histoire, où les seules divergences tiennent surtout dans le fait qu'il a survécu. Il raconte la mort de sa belle-mère, brulée vive par les bombes incendiaires, et soignée sans antalgiques dans un hôpital de fortune. Il raconte aussi la mort de sa demi-soeur, rongée par la galle et la mal nutrition, mais surtout la mort de son humanité. Abandonné de tous, baladé d'institution en institutions, l'auteur raconte les racines de son mal. Il raconte ici une petite mort qui le hantera toute sa vie, au travers de nouvelles et d'articles de journaux toujours choquants et décalés, comme une revanche contre un destin qui l'a épargné.

Le plus touchant dans l'histoire est sa sobriété. L'auteur ne s'apitoie jamais sur le destin des enfants, il raconte. Sans effets de style, sans enjolivures ni apitoiements. Il décrit une réalité qui transpire le vécu et la déconnection d'un esprit trop traumatisé pour romancer. C'est dur. Çà m'a fait manquer d'air tellement ça sonne juste. Et j'en ai refermé le bouquin une bonne dizaine de fois tellement ça m'a fait mal au coeur. Et c'est dans cette description presque désintéressée que j'ai failli verser ma petite larme. Plus personne ne décrit une scène avec tant de justesse. Les mots vous transpercent uns par uns, tellement incroyables qu'on va les relire pour être sur de les avoir compris. Mais le ton très campagnard (absent dans le film de Takahata), mêlé avec des personnages ignobles et attachés à leur survie, donne une ambiance très juste, bien raccordée avec la population de l'époque. Les mots vous parlent comme un film documentaire. Les scènes claquent comme des coups de fouet. La scène de la mort de Seita notamment, donne froid dans le dos, reflet d'une autre banalisation celle-la, où un pays sinistré ne peut plus que constater la mort de ses enfants entre les passants d'une gare, au vu et au sut de tout le monde. Des enfants qui meurent de faim et de maladies aujourd'hui banales. Loin des scènes larmoyantes, l'extrême dureté de ces derniers instants, entre espoir et peine perdue d'avance, va vous ramener directement dans vos derniers retranchements.

La deuxième histoire raconte cette fois le malaise de l'occupation Américaine par le biais d'une visite étrange. Celle d'un couple d'américains retraités chez un couple de Japonais coincés dans leurs traditions et leur repli sur soi.
Il décrit une ouverture forcée vers l'autre entraînant une série de situations qui tiennent plus du quiproquo que d'une réelle volonté de compréhension et d'ouverture. On reste dans le paraître et le qu'en dira-t-on, c'est précisément ce qui est drôle et grinçant. L'auteur dénonce donc une société rigide, pétrie par son nationalisme et son idéologie du père, mais aussi le comportement bestial et exacerbé des survivants. Des survivants qui ne trouvent pas la place dans leur vie pour un présent qu'ils ne comprennent plus, dépassés par un traumatisme inénarrable. Celui de la reddition, annoncée par un empereur dans la langue impériale de l'époque, (qui n'a donc pas été comprise par au moins un Tiers de la population, car essentiellement rurale) mais aussi celui de l'occupation, avec des Américains pas si diaboliques que ne le laissait penser la propagande.
L'humour décape, se complet dans le trash et le vulgaire, mais permet toutes sortes de digressions savoureuses, révélatrices en plus d'une époque et d'une société qui n'arrive pas a extérioriser son mal-être.
L'écriture est toujours aussi sobre et directe, mais se paie le luxe d'un humour et d'un décalage qui me paraît extrêmement visionnaire pour un roman Japonais publié en... 1967...

Les seuls reproches que je pourrait faire tiennent dans l'étroitesse du récit et dans sa construction. Les digressions sont soudaines et rendent le récit un peu abrupt dans la deuxième nouvelle. Et la neutralité" du style empêche quelques fois une immersion plus profonde. Mais avec le premier récit, est-ce vraiment nécessaire ?

Bref, ce recueil est un pur moment de lecture, qui vous remet directement la tête en place, si tant est que vous acceptiez l'extrême dureté des images et des scènes décrites dans chacune de ces deux merveilleuses nouvelles. Vous pourrez donc mesurer la force d'une écriture, la force d'images décrites avec un style inattendu et percutant.
En tout cas, vous aurez un excellent point de comparaison avec le film d'Isao Takahata, ce qui n'est déjà pas rien, et surtout un moyen d'aborder et de relativiser la violence qui vous est servie aujourd'hui dans tous les journaux télévisés. Une violence dénaturée, lointaine, qui ne vous concerne déjà plus la minute d'après. Elle remet en lumière un point de vue qui n'est que trop lustré par la haute-définition et le flot d'informations merdiques qu'on nous sert à longueur de journée. Cette vision là vous touchera car elle est authentique, vibrante, et surtout parce qu'elle est brute: décodée uniquement en true 2D et sans technicolor.
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le 11 nov. 2013

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