L'avantage avec les régimes autoritaires, c'est qu'les personnages ont pas à avoir de libre-arbitre.

Ce qui m’a d’abord un peu désorienté, c’est que je m’attendais à un roman à suspense.
Les protagonistes vivent sur trois générations mais la structure du récit, finalement assez claire, soulève un certain nombre de questions d’ordre narratif. Pour faire simple, pourquoi l’auteur attrape-t-il le récit par ce bout-là ? Il multiplie les points de vue, on suit tour à tour les coupables et les victimes, et aux deux époques concernées (1940 et 1980), ce qui tue une grande partie du suspense éventuel : l’intrigue se dévoile par fragments, une scène après l’autre, sans que j’aie trouvé de logique à ce dévoilement progressif. On découvre des mobiles, on découvre l’identité de certains coupables, passages auxquels succèdent d’autres passages au cours desquels un personnage échoue encore à résoudre ce qu’on a appris dix pages avant. Je n’ai pas du tout décelé le rythme que cette structure était censée donner. Bref, ce n’est pas un roman à suspense (« thriller psychologique », dit la 4ème de couv).

Qu’à cela ne tienne ! ça pourrait être un bon roman noir. Le contexte de l’histoire espagnole de 1940 à 1980 est suffisamment mis à contribution pour ce faire. Mais il y a assez de caricature pour nuire efficacement à une telle ambition. Le récit est « psychologique » dans la mesure où l’état d’esprit des personnages est bien détaillé, pour autant on aimerait avoir des clés pour comprendre pourquoi ils ont un comportement aussi unilatéral. Quelques-uns, dont on assiste à l’évolution, ont un comportement globalement convaincant (Fernando ?). D’autres (Publio, Ramoneda…) sont brossés grossièrement. La plupart (à commencer par Mola père) ne me convainquent pas : leurs actes sont justifiés par une idéologie brute sans qu’on puisse suivre leur rapport intime, fluctuant, sujet à questionnements et évolutions, à cette idéologie. Bref, l’impression est que la plupart des personnages ont eu leur fiche, « il sert telle idéologie, ça conduit à tel acte, tel sentiment, telles conséquences matérielles », et l’auteur s’en est tenu là au moment de la rédaction.

Ce qui m’a amené à la conclusion que ça ne pouvait pas être un bon roman tout court. Parce que j’ai hésité, j’ai remis en question mes notions grossières de genre, je me suis dit que j’attendais qqch de trop conventionnel de la part d’un roman étiqueté thriller et que seule l’originalité de celui-ci me désarçonnait et me conduisait à un avis négatif. Pour les raisons évoquées ci-dessus, je pense qu’en fait c’est juste un mauvais bouquin. J’ai oublié de parler du style ; la plupart du temps, les descriptions ne sont pas trop mal mais sont souvent suivies, point de vue interne oblige, de commentaires vus et revus, et les personnages nous servent des réflexions d’une rare platitude.
Et les dialogues sont souvent très mauvais (exemple : à peu près tous ceux entre Maria et Greta, pour commencer).

Pour conclure, je pense qu’au cours de la genèse du bouquin, il y a eu un certain travail sur la construction de l’intrigue. Le fait qu’on apprenne mobiles et coupables sans dessus dessous n’aurait peut-être pas été gênant, voire aurait pu être franchement d’une originalité appréciable, si le reste (de la complexité des personnages à la qualité des dialogues) avait suivi. Comme ce n’est pas le cas, je me suis focalisé sur le trash banal des assassinats, la cruauté banale des meurtriers, le désarroi banal du personnage en charge de démêler le tout.
Bref, tout ça partait d’une bonne intention : un vaste arrière-plan historique et une narration qui trouve son aboutissement non dans la courbe exponentielle du suspense mais dans le dévoilement progressif des liens intimes qui unissent toute sa galerie de personnages. J’ai l’impression que, l’étape de la rédaction arrivant, toutes ces bonnes résolutions se sont perdues dans un manque de savoir-faire évident, qui a bradé la dimension psychologique comme la dimension historique, ce qui a fait ressortir les scènes de mauvais gout, les mauvais dialogues et la platitude des réflexions des personnages. Et finalement l’idée de fond que je retiens du bouquin, c’est celle que j'ai mis en titre de cette critique...
Le produit en lui-même, étiqueté Actes Sud, est pourtant bien emballé. Mais n’est pas Série Noire qui veut…
Rasp
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le 10 janv. 2013

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Rasp

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