La Vendetta
7.1
La Vendetta

livre de Honoré de Balzac (1830)

Dans l’équipe des Clichés, la Corse profite d’un cafouillage pour adresser une frappe écrasée, que Balzac ne peut que voir franchir la ligne (1-0). Mais l’équipe de la Vendetta, bien que dominée, est pugnace : sur un corner, Balzac monté aux avant-postes saute plus haut que Description, habituellement beaucoup plus solide, pour égaliser (1-1). Son équipe croit tenir l’exploit, mais en toute fin de match, Mélodrame, rentré en jeu, reprend une passe millimétrée de Romantisme, auteur d’un match plein ce soir (2-1). Le score en restera là.


Dit autrement, quelques mois après la Colomba de Mérimée, Balzac publie son récit de vendetta. L’histoire a beau se passer à Paris, la Corse n’étant le cadre que d’un flash-back explicatif, c’est bien « la rancune particulière aux Corses » (p. 1081) qui guide le vieux Bartholoméo di Piombo et sa fille Ginevra qui, « élevée à la corse, […] était en quelque sorte la fille de la nature, elle ignorait le mensonge et se livrait sans détour à ses impressions, elle les avouait, ou plutôt les laissait deviner sans le manège de la petite et calculatrice coquetterie des jeunes filles de Paris » (p. 1059).
Bien sûr, dans une nouvelle dont la vendetta est le motif – en plus d’en fournir le titre –, il eût été bien étrange que l’évocation de la Corse ne donnât pas lieu à de tels clichés. Bien sûr encore, en 1830, la Corse n’est française que depuis une soixantaine d’années. Mais cela n’allège en aucun cas le cliché, d’autant que la vengeance familiale atténue considérablement la surprise née du rebondissement et de la chute – « Notre vendetta fait partie de nous-mêmes. Qui n’épouse pas ma vengeance, n’est pas de ma famille » (p. 1079), dit le père à la fille.
Du reste, le récit propose très peu de descriptions : dire qu’une école de peinture pour demoiselles bien nées constitue l’un des décors principaux de la nouvelle, et qu’à aucun moment Balzac ne décrit le moindre tableau ! S’il faut chercher une manière balzacienne dans la Vendetta, que ce soit plutôt dans la structure : un prologue d’une demi-douzaine de pages, suivi d’un récit principal qui en compte une soixantaine. (On peut songer au Colonel Chabert.) Pour faire la jonction : « Quinze ans s’écoulèrent entre l’arrivée de la famille Piombo à Paris et l’aventure suivante, qui, sans le récit de ces événements, eût été moins intelligible » (p. 1040) – une de ces sutures apparentes par lesquelles Balzac aime expliciter ses démonstrations.
Autre élément qu’on retrouve souvent dans le reste de la Comédie humaine : la Vendetta est encore un récit sur les conséquences d’une éducation : « les regards furtifs que Bartholoméo jetait sur sa fille semblaient annoncer qu’il craignait en ce moment le caractère dont la violence était son propre ouvrage » (p. 1078). Du reste, « vous avez raison dans votre égoïsme, comme j’ai raison dans mon amour » (p. 1071), déclare la fille au père : leur relation est une passion au moins aussi forte que celle qui scelle le sort de Ginevra et Luigi.


Et le mélodrame, dans tout ceci ? Présent de bout en bout, avec une figure de pauvre digne, un amant / proscrit dans le cagibi, deux âmes généreuses qui se trouvent, une reconnaissance tardive, un poignard de la vengeance accroché au-dessus de la cheminée, et un dénouement sur lequel je ne divulguerai rien ici… Ajoutons pour finir que tout ceci n’exclut pas le plaisir de la lecture – et que j’ai compris en lisant la Vendetta ce qu’on pouvait chercher en lisant Dumas ou Ponson du Terrail.

Alcofribas
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le 23 févr. 2020

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