L'accueil que ce livre a reçu est absolument ahurissant: 3 millions d'exemplaires vendus, Prix Goncourt des Lycéens, Grand Prix du roman de l'Académie française et (c'est ce qui m'attriste le plus) vanté par Bernard Pivot sur la quatrième de couverture. Parce qu'il faut bien dire, La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert ne justifie en rien les louanges chantées par la critique et les ambitions littéraires que défend son auteur.


Commençons par le commencement, le décor. Joël Dicker est suisse, mais l'histoire se passe dans une petite ville du New Hampshire. L'auteur essaie de s'imprégner de l'ambiance des polars américains, entre suspense et réflexions sur la société américaine (les Américains n'aiment rien tant que s'interroger sur le futur de l'Amérique), mais celles-ci tombent à plat: les éléments de l'actualité jetés ça et là au hasard du roman comme l'élection d'Obama ne sont que des prétextes à des poncifs sur le changement:



— Je suis passé devant votre ancienne paroisse, dis-je. C'est devenu
un McDonald's. — Le monde entier est en train de devenir un
McDonald's, Monsieur Goldman.



Ca fixe le ton sur la niaiserie du livre, de tous les livres: Les Origines du mal, le livre de Québert, est censé être un chef d'oeuvre de la littérature moderne mais la prose de Harry Quebert ressemble à la version à peine améliorée d'un Harlequin:



—Mais après l'amour, Marcus, après l'amour, il n'y a plus que le sel
des larmes.



Les deux personnages principaux, les deux auteurs, sont insupportables et il est presque impossible d'éprouver de l'empathie pour eux. Ce livre est encore un exemple flagrant d'une histoire dans laquelle le héros (masculin, blanc) est insupportable, arrogant et prétentieux mais il a toujours raison et les personnages qu'il s'était mis à dos à juste raison finissent systématiquement par le reconnaître et l'apprécier


Les personnages secondaires n'ont pas la moindre épaisseur, Nola en particulier n'a aucune personnalité, et se réduit à: 1) elle est belle, 2) elle a 15 ans, 3) elle a des problèmes, 4) elle aime Harry. D'ailleurs cette relation accumule les pires clichés du lien artiste/muse, il célèbre sa beauté, son rire, son prénom (et pas grand chose d'autre, ah si elle aime l'opéra et les mouettes, regardez donc comme elle est originale, différente et spéciale) pendant qu'elle réarrange toute sa vie pour l'accomoder et l'aider à produire son oeuvre, heureusement elle trouve que c'est le plus beau livre du monde.


Elle lui permet ainsi de nous régaler d'aphorismes profonds, tel que celui-ci:



— D'où viennent les vagues? demanda Nola. — De loin, répondit Harry.
Elles viennent de loin pour voir le rivage de la grande Amérique et
mourir.



Et puis, comme c'est elle qui insiste pour qu'ils aient une relation, en lui répétant que comme ils s'aiment, ce n'est pas grave qu'elle soit adolescente, donc ce n'est pas de sa faute à lui.


La peinture du "monde de requins" que serait l'édition est tout simplement ridicule, et c'est d'autant plus malhonnête que Dicker s'en sert pour se dédouaner: l'éditeur demande à Marcus qu'il ajoute à son livre du sexe entre l'adolescente et un homme adulte? ah non, le courageux Marcus défend ses valeurs, et l'auteur aussi, on ne va pas le décrire et la question du sexe entre Nola et Harry est totalement évacuée, jamais évoquée (il ne faudrait pas rappeler au lecteur que c'est une relation illégale, on a dit qu'on n'en parlait pas). Par contre, si on veut dire que Nola fait une fellation à un autre adulte, qu'elle reçoit des coups sur les seins ou qu'elle pose nue, pas de souci. En ne donnant pas de détail on se déresponsabilise au profit du lecteur.


Il faut tout de même rappeler que cette histoire d'amour se passe entre une fille de 15 ans et un homme de 34 ans, mais apparement comme elle était malheureuse et qu'il était gentil avec elle, ça n'est pas grave? Enfin c'est ce que j'imagine, puisque personne n'utilise le mot "pédophile" dans le livre.


Ces personnages hypocrites ne sont pas sauvés par l'intrigue, très mal structurée: l'"enquête" traîne pendant les trois premiers quarts du livre, alors que la dernière partie ne laisse aucun répit au lecteur entre deux rebondissements tirés par les cheveux.


Par ailleurs, l'aspect "méta" du livre tombe à plat: les conseils d'écriture et de vie du maître à l'élève qui commencent chaque chapitre (des poncifs grandiloquents), les affres de l'écriture d'un second livre (c'est le deuxième roman de dicker), tout cela a j'imagine pour but de donner une coloration réflexive et profonde au livre mais en réalité cela ne fait qu'en souligner le caractère superficiel, et participe à un certain mépris du lecteur, à qui on répète bien tout deux fois pour être sûr qu'il n'est pas passé à côté d'un indice ou ici de ce qu'il devait ressentir ou ce à quoi il devait réfléchir.


Joël Dicker boucle la boucle en écrivant, comme Marcus, un livre à succès auquel on prête plus d'ambitions littéraires que son texte n'en montre.

_ourse
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le 20 nov. 2016

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