"Le deuxième projet appartient au domaine de la métaphysique : dans le but de démontrer que, selon l'expression du Professeur H. M. Tooten, "l'évolution est une imposture", Olivier Gratiolet a entrepris un inventaire exhaustif de toutes les imperfections et insuffisances dont souffre l'organisme humain : la position vertical, par exemple, n'assure à l'homme qu'un équilibre instable : on tient debout uniquement à cause de la tension des muscles, ce qui est une source continuelle de fatigue et de malaise pour la colonne vertébrale laquelle, bien qu'effectivement seize fois plus forte que si elle était droite, ne permet pas à l'homme de porter sur son dos une charge conséquente ; les pieds devraient être plus larges, plus étalés, plus spécifiquement adaptés à la locomotion, alors qu'ils ne sont que des mains atrophiées ayant perdu leur pouvoir de préhension ; les jambes ne sont pas assez solide pour supporter le corps dont le poids les fait ployer, et de plus elle fatiguent le cœur, qui est obligé de faire remonter le sang de près d'un mètre, d'où des pieds enflés, des varices, etc.; les articulations de la hanche sont fragiles, et constamment sujettes à des arthroses ou à des fractures graves (col du fémur); les bras sont atrophiés et trop minces ; les mains sont fragiles, surtout le petit doigt qui ne sert à rien, le ventre n'est absolument pas protégé, pas plus que les parties génitales ; le cou est figé et limite la rotation de la tête, les dents ne permettent pas de prise latérale, l'odorat est presque nul, la vision nocturne plus que médiocre, l'audition très insuffisante ; la peau sans poils ni fourrure n'offre aucune défense contre le froid, bref, de tous les animaux de la création, l'homme, que l'on considère généralement comme le plus évolué de tous, est de tous l'être le plus démuni."



La Vie mode d'emploi est un roman de Goerges Perec, publié en 1978. Et cerise sur le gâteau pour la fin de carrière de l'auteur, c'est avec ce livre qu'il reçoit le prix Médicis, la même année de sa publication.


On pourrait croire par le titre que cette oeuvre va nous révéler quelque chose sur la vie mais ce n'est pas tout à fait le cas. La Vie mode d'emploi raconte l'histoire des habitants d'un immeuble parisien, du 11, rue Simon-Crubellier, dans le dix-septième arrondissement.


Ce roman de six cent soixante-quatre pages (dans l'édition livre de poche), et de quatre-vingt-dix-neuf chapitres (ainsi qu'un préambule et un épilogue), recense mille quatre cent soixante-sept personnages pour cent sept histoires répertoriées à la fin du livre (ce qui est d'une grande aide quand on cherche quelque chose). Autant dire que c'est un joyeux bazar pour s'y retrouver. D'autant plus que chaque histoire se déroule à des époques différentes. Le temps est comme figé, comme si on était en suspense dans l'espace et qu'aucun mouvement ne s'effectuait. La description de chaque nouvelle pièce, dans laquelle l'auteur nous fait entrer, accentue ce sentiment de flottement dans les airs, ou bien un arrêt sur image si vous préférer.


Pendant le cours de votre lecture vous pouvez vous attendre à tous, même à n'y rien comprendre. De nombreuses histoires sont très plaisantes à lire mais au contraire, certains chapitres sont d'un ennui quasi mortel. Il y a des listes énormes qui s'étendent sur plusieurs pages (comme par exemple la liste d'outil) mais qui ne servent à rien, à part nous fatigué bien sûr. Il en va de même pour les énumérations et les phrases interminables qui s'allongent sur d'innombrables pages.


Le personnage principal, à savoir Bartlebooth, allias l'Anglais, est un amateur de puzzles. Il construit sa vie sur cela. On compatit pour ce personnage. Malgré tout les voyages qu'il a fait durant sa vie, il donne l'impression qu'il ne vie pas vraiment. Il y a une espèce d'indifférence qui se dégage de lui pour les gens qui l'entoure. Il ne veut pas laisser de trace de son existence. Il est comme mort.


L'un des aspects qui m'a beaucoup plus dans ce livre est la présence constante de l'art visuel. Dans chaque chapitre vous pouvez être sûr de trouver au moins un tableau ou une gravure, ou bien une photo... Chacune de ces images racontent une histoire unique. Les tableaux peuvent inspirer pour écrire et réciproquement l'écrit peut inspirer pour peindre. C'est le cas de L'Assassinat des poissons-rouges, une histoire policière fort plaisante à lire. Le thème du roman policier est d'ailleurs très présent dans La Vie mode d'emploi, ce qui n'est pas pour me déplaire. L'enquête est l'un des points central de cette oeuvre, que ce soit policière, historique, social, scientifique, artistique...


Et enfin, le chapitre final ! Quel chapitre ! Je ne pensais pas que mon point de vue changerait autant juste en le lisant. C'est à ce moment là que j'ai compris tout le génie de Perec. Toute cette attente qu'il nous fait endurer est insupportable, on voudrait lire plus vite sans le pouvoir. On sait qu'il va se passer quelque chose d'important, et quand cela ce produit, on a l'impression que la seule action au présent de tout le livre nous glisse entre les mains comme de l'eau ou du sable. On ne peut pas se saisir de ce moment, il nous échappe, comme le temps qui passe.


Je m'attendais à écrire une critique assez cinglante, mais il semblerait que j'ai plus apprécié cette oeuvre que ce que je laissais croire.

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le 9 janv. 2018

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LaPetitePirate

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