Oui, « La vie très privée de Mr. Sim » est un produit marketé à mort, mais il n'en reste pas moins un pur objet de fascination.

Ce nouveau roman de Jonathan Coe embrasse son époque (la notre), avec truculence.
Précisons par avance que vous ne trouverez dans ces 450 pages aucun moralisme de bas étage.

Mr Coe joue avec son lecteur sans cesse, cela donne souvent le vertige :
position propice à l'observation.
Voyez plutôt :

" Elle avait de longs cheveux noirs, un peu en bataille. Un visage étroit aux pommettes saillantes (désolé, je ne suis pas très fort pour décrire les gens). (...) Elle portait des vêtements coûteux, avec un foulard en soie-chiffon noir (je ne suis pas non plus très fort pour décrire les vêtements - Vous avez toujours envie de lire les quatre cent pages qui suivent?) fixé par une grosse broche dorée."

L'auteur croque les travers de Mr Sim :
futur VRP en brosses à dents écologiques, parti sillonné la Grande Bretagne du nord au sud.

Aires d'autoroutes ultra modernes, repas solitaires désincarnés, course aux « amis » sur Facebook, traque de son ex-femme sur des forums internet... le tout servi admirablement, par une absence totale de moralisme.

Dès le début, le lecteur comprend que Mr Sim est un anti-héros.
Il y en a mille autres situations du même acabit, c'est pourquoi je me permets de vous décrire une des scènes inaugurales.
Mr Sim revient d'Australie, frustré, incroyablement isolé, avec une envie folle de parler, d'extérioriser ses sentiments.
Pensant trouver une oreille attentive en la personne se son voisin de siège dans l'avion, il se lance dans un monologue halluciné. Le tout, sans s'apercevoir que son voisin est mort de fatigue (littéralement, je dis bien, littéralement).

« Pauvre vieux Charlie Hayward ! C'était la première personne à qui je réussissais à parler depuis ma décision de renouer avec le monde : l'avenir ne se présentait pas sous les meilleurs auspices.
Mais tout allait s'arranger. »

En rentrant chez lui, il ressent un désappointement extrême en voyant que les mails qu'il a reçu ne sont que des SPAMs du type :

« ça va être la fête du slip
Voilà qui va vous faire oublier le drame d'en avoir une petite
Votre magnum se dresse et elles sont toutes sous le choc
Votre joystick se change en boa
Retrouvez la gaule de votre jeunesse, c'est possible »

Ce roman est un amusement perpétuel, avec des trouvailles incroyables.
Une manière incroyablement drôle de démonter le formatage (la pornographisation) de notre société, et l'existence de contacts toujours plus nombreux entre les différentes solitudes.
De quoi me renforcer dans l'idée d'éviter soigneusement de m'inscrire sur Facebook.


Surtout, surtout, de la pure littérature.
Grand cru.

Pensez vous qu'il est impossible de tomber amoureux de la voix de son GPS ?

murakamien
6
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le 27 sept. 2011

Critique lue 302 fois

murakamien

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