Ceci n'est pas un livre sur la drogue. Enfin si, si on considère que Les trois mousquetaires d'Alexandre Dumas est un roman sur les épées et les tenues en dentelle. Les drogues ne sont qu'un ustensile de la narration (et certainement aussi de l'écriture...). Elles sont aussi très bien décrites, on a l'impression de lire une encyclopédie. Mais non, ce n'est pas sur la drogue.

Ce n'est pas non plus un témoin de la période des 70's. Enfin si, si on considère qu'un livre évoquant Jean-Claude Narcy et Jean-Pierre Foucault puisse être lui-aussi un témoin de notre période. Des présentateurs télé sont mentionnés partout, des chanteurs, des journalistes, toute la culture populaire américaine de l'époque. Enfin, ce n'est pas forcément pire qu'un vieux invité chez Drucker qui réclamera son sketch de vieux et ses chansons de vieux. Tant pis pour les jeunes qui n'y comprennent rien. De toute façon, ils ont autre chose à foutre un dimanche après midi.

Ce n'est pas un livre sur un week end de Hunter S. Thompson et d'Oscar Zeta Acosta mais ça, on le savait déjà de la bouche de l'auteur. Thompson a seulement transformé un voyage qu'ils avaient fait pour discuter car Acosta ne pouvait pas être vu en présence d'un journaliste par ses pairs du Chicano Movement.

Ce n'est pas non plus un livre sur le Rêve américain. Non, c'est l'arlésienne. Les personnages le cherchent, enfin ils partent en quête plutôt, avec toutes les victuailles. Puis ils tournent en rond. A un moment, ils décident de le chercher de nouveau, Malheureusement, il a brûlé il y a trois ans. Les deux zigues sont Ulysse et le Rêve américain, c'est Ithaque. Les sirènes, les cyclopes, les Circé, tout. Ils s'inventent même un Poséidon courroucé.

Car c'est justement là l'idée de ce putain de bouquin: il s'agit de deux types qui ont décidé d'être systématiquement opposés à tout, y compris eux-mêmes (par exemple, l'épisode de l'éther au Circus qui désolidarise la conscience de l'instinct, les obligeant à faire n'importe quoi et à en avoir honte au même moment). Ils sont à toutes les pages en train de se mesurer à un Poséidon qu'ils s'inventent avec leurs drogues, une paranoïa constante même devant les gens les plus coulants (le flic de l'Highway Patrol par exemple). On leur veut toujours du mal, ils doivent fuir systématiquement, même les pamplemousses peuvent les balancer.

Quand on essaye de retirer la fonction convolutive de la drogue du tableau, on aperçoit un Las Vegas d'une banalité relativement absolue. Des gros types qui jouent, des pépères qui font la queue avec bobonne pour réclamer une ptite ristourne sur la suite, des employés qui font leur boulot sans forcément trop de zèle. Les deux putains de dangers, ce sont Duke et son avocat, à se balader avec la tête pleine de produit Sandoz et des armes dans les mains. A s'imaginer que le monde est intégralement contre eux et quand il ne l'est pas, foutons le bordel, on va bien finir par nous coller contre un mur.

Ca aurait pu être hilarant du début jusqu'à la fin (du moment que la vue de poivrots titubant les rues vous fait marrer). Ils s'attaquent aux pinpins avec une once de pouvoir, ou suffisamment de lettre et d'esprit pour répliquer. Mais le passage qui n'est pas du tout amusant est celui de la serveuse à Vegas Nord, attaquée gratuitement, puis menacée par le dr Gonzo. Avant, on pouvait considérer les deux comme de (relativement) doux dingues mais cet épisode montre qu'ils peuvent être dangereux. Enfin surtout l'avocat. Il devait avoir l'alcool mauvais.

Au final, qu'avons-nous là? L'histoire de deux types qui ont décidé de ne jamais être là où ils devaient être. Deux énergumènes qui font tout, absolument tout en leur pouvoir pour ne pas devenir des pièces du tableau. Le monde ne sera jamais avec eux, jamais, absolument jamais.
C'est tout simplement une ode à l’incongruité.
aubustou
8
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le 4 août 2013

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