Le Désespéré
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Le Désespéré

livre de Léon Bloy (1887)

Il me faut d'abord préciser que, contrairement à mes contemporains, je n'ai aucune animosité envers le christianisme, et je partais avec un a priori favorable sur l'ami Léon. Les premières pages m'ont intimidée, l'auteur fait étalage d'un vocabulaire aussi foisonnant qu'inutile.


L'étiquette de roman du Désespéré est pour le moins abusive, car il s'agit tout bonnement d'une auto-biographie à laquelle quelques éléments de pathos (parfois prophétiques) ont été ajoutés. J'espérais trouver un livre spirituel, et il n'est, peut-être, que spiritueux, car je dois avouer que j'ai été vite saoulée par la complaisance du monsieur. J'avais été ennuyée par la dévotion de St Augustin, un peu rébarbative, mais Bloy, en se tenant pour un grand homme de foi ne vénère que lui même, et distribue, à la volée, ses hosties empoisonnées.


La narration n'a pas grand intérêt, le talent de l'auteur ne résidant que dans son style, flamboyant et érudit, se prêtant à merveille aux pamphlets, qui constituent, heureusement, un tiers du texte. A aucun moment Caïn ne fait preuve de vertus chrétiennes, d'humilité, compassion, il n'est jamais le sujet de l'aumône, mais en est souvent l'objet, et ne parlons pas de sa passion malsaine pour les péripatéticiennes. Autrui n'est pas son prochain, mais son ennemi ou son serviteur. Il se révèle être un manipulateur sadique (pauvre Véronique, qui aurait peut être moins souffert si elle était restée prostituée), doublé d'un masochiste, qui ne rate aucune occasion de se saborder, écumeur de sa propre vie, afin de mieux pouvoir s'émouvoir sur son sort, et partager le sort des pauvres qu'il canonise. En musique!


J'ai de la sympathie pour les gens qui se sentent hors de leur époque, les incompris, les marginaux, et j'avais pourtant eu une pointe de condescendance en découvrant la misanthropie de Nizan, qui est pourtant plus spirituelle et belle, car elle n'a pas eu le temps de se confire dans l'aigreur contrairement à celle d'un certain désespéré.
J'ai tenté vainement de trouver du sens dans l'incontinence (e)sc(h)atologique du bonhomme, sans succès, son obsession symboliste est même signe d'une certaine constipation intellectuelle.
D'ailleurs, elle n'est pas si rare, Musil faisait mention d'un groupe de jeunes antisémites versé dans les mêmes ruminations.


Bloy, osons le mot, est un sociopathe, je doute que, même du temps de ses bien aimées croisades, il eût réussi à se sentir partie du genre humain. Il confirme également mon intuition sur l'attachement de ces gens à l'espèce du loup, se surnommant "le lycanthrope", (semblant oublier que ce sont des animaux de meute). Moins inspiré à son sujet, il ose s'appliquer des épithètes virils, de courage et d'abjection, alors que lors de ses attaques ad hominem, il utilise tout de même des pseudonymes, ne prenant pas plus de risques qu'il n'en faut. Il aime aussi à attaquer les physiques de ses contempteurs, chose cocasse venant d'un zeppelin hirsute, atteint de basedow, et semblant avoir été peint par Munch.
Ce n'est nullement un loup, mais un petit roquet, qui aboie fort et joliment dans son petit jardin pavillonnaire.


C'est à regretter qu'il n'ait pas eu le bon sens de son contemporain et ami Huysmans, dont j'ai lu récemment l'estimable "Là-bas", d'une profondeur ontologique et humaine bien supérieure, bien qu'il se permette lui aussi de tirer à boulets rouges sur le bassin de "cormorans" qu'est la vie littéraire parisienne.


La littérature est un acte d'élévation, il m'arrive de penser que le ciel des intelligibles s'est incarné dans la plume d'un auteur, quand ses pages confinent au sublime. L'auto-biographie, n'est donc pas un art, car la transcendance du moi n'a pas été accomplie. Certains graphomanes utilisent l'écriture comme un acte onanique, où leur alter ego (ici Caïn Marchenoir, grande subtilité) peut se vautrer dans leurs fantasmes narcissiques. Ce genre d'occupation, bien que salutaire, sans doute, ne devrait pas s’échapper de l'intimité de chacun. Bloy ne parvient pas à s'élever et au contraire creuse dans la profondeur abyssale de son nombril corrompu.


Mais je vais cesser de tirer sur l'ambulant, qui m'a quand même bien fait rire, grâce à ses pamphlets savoureux, mais également avec ces merveilleux moments, comme quand, en décortiquant un homard, il parle d'"orgie de misère".
J'ai même un peu de pitié pour Léon, qui, comme certains polémistes modernes, dans leur tour d'ivoire, ne se rendent pas compte qu'ils sont conviés aux événements mondains uniquement pour faire office de bouffons diaboliques.

Diothyme
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le 1 avr. 2019

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