Lu dans la traduction d'Arthur Waley, ce qui explique les passages en anglais (édition supprimée sur SC)


"Once upon a time, there was an emperor whose beloved favourite gave birth to a shining Prince..."


Genji Monogatari, un récit qui débute comme un conte de fées, écrit par Shikibu Murasaki, dame d'honneur à la cour de Heian, dans les premières années du XIème siècle au Japon.
54 chapitres couvrant trois générations, vont se succéder, et toujours ce même jeu de l'amour et de l'ambition sans cesse repris dans la course du temps.


Hikaru Genji, le prince radieux, n'aura pas connu sa mère, la très belle Kiritsubo, concubine de second rang, que ni l'adoration ni l'autorité de l'empereur ne pourront protéger de la jalousie féroce de ses rivales, et qui, persécutée, s'éteindra quand son fils avait trois ans.


Mais son image hantera à jamais l'enfant, puis l'adolescent, qui plus tard, découvrira, ébloui, la nouvelle épouse choisie par son père : Fujitsubo, Dame du clos aux glycines, vivant portrait de la favorite défunte.


Dès le second livre, on retrouve le jeune Prince, exalté, parlant des femmes avec des amis de son âge, mais dans sa quête incessante, ce qu'il cherche avant tout c'est un "divertissement" à celle qui restera l'amour de sa vie : de cet amour interdit et clandestin naîtra un fils, que le vieil empereur, ironie du sort, confiera à la garde de Genji, "le frère aîné", avant de mourir.


Et "The world at large" de s'émerveiller de la radieuse beauté des deux jeunes Princes quand ils marchent côte à côte :
"Genji and the little Prince were like the sun and the moon, side by side in the heavens"


On peut se demander en lisant le récit minutieux de ses succès féminins, ponctués toutefois de quelques échecs dont les raisons sont analysées avec une rare pénétration, qui est Genji, et ce qu'il représente dans la société de l'époque, outre son rang et son extraordinaire séduction physique.


Car le jeune homme, on s'en rend compte très vite, loin d'être un vulgaire Don Juan, possède un naturel sérieux, voire trop sérieux aux dires des dames de la cour, qui le rêveraient parfois moins "austère".


Ce qui rend pour nous le personnage particulièrement attachant, c'est qu'au delà de sa rayonnante beauté, il émane de lui une sorte de tendresse affectueuse, en témoigne cette fidélité inaltérable et touchante qu'il voue à toutes les femmes de sa vie, sans considération d'âge ni de beauté.


Chevalier blanc à la belle âme qui protége l'une, vole au secours de l'autre, isolée dans son palais vétuste et décrépit, veillant avec dévotion à leur bien-être matériel et moral, fidélité multiple, d'ailleurs, les usages lui imposant des amours plurales.


Comment alors, dans une société polygame où les relations entre les hommes et les femmes reposent sur des conventions assez floues, sans aucune sorte de garantie judiciaire ou religieuse, Genji n'apparaîtrait-il pas comme un "héros d'amour" tel que peut le rêver toute femme à cette époque?


Le jeune homme, en effet, ne devait jamais oublier les paroles de son père, le vieil empereur, lui adressant une semonce parce-qu'il avait contrarié une Dame du palais, des propos célébrant le tact et le respect dû aux femmes, à toutes les femmes, suffisamment remarquables pour être rapportés : "You should treat any woman with tact and courtesy, and be sure that you cause her no embarassment. You should never have a woman angry with you."


Certes, le beau prince, décrété par la force des choses simple "sujet", ne montera jamais sur le trône, mais pour "the world at large" il reste celui qu'on révère et qu'on admire, et quand, lors du banquet aux fleurs, Genji apparaît, "dressed with great care, wearing a robe of a thin white chinese damask with a red lining, and under it a very long train of magenta", il illumine l'assistance de son glorieux éclat.


Sans cesse à la recherche de la femme idéale, et désespérant de jamais revoir l'inaccessible impératrice, (après son mariage il ne l'apercevait plus que derrière ses rideaux et ne pouvait communiquer avec elle que par flûte quand elle jouait le koto), le prince tombe un jour, sur une petite orpheline d'une dizaine d'années, qui s'avère être la nièce de Fujitsubo et dont la grâce, la joliesse et la vivacité d'esprit, l'enchantent et le touchent à coeur.


Conquis, il enlève la fillette en douceur, l'installant près de lui au palais, "at the southwest corner, where the wisteria was in bloom".
"Père" aimant et attentif, Genji se consacre avec amour à l'éducation de l'enfant, n'ayant de cesse d'en faire l'épouse idéale, observant avec ravissement, au fil des jours, la petite fille devenir femme.


Bientôt, c'est avec les yeux d'un amant qu'il voit l'oiseau facétieux prendre son envol pour venir le rejoindre : Dame Murasaki est née, et en dépit de nombreuses rivales, elle règnera sans conteste sur le coeur de Genji et sur sa maison.
Alliant beauté, distinction et intelligence, son exclusivisme, pour réel qu'il soit, saura se parer des couleurs de la tolérance, suscitant plus d'une fois l'admiration du Prince et le confortant dans son attachement.


Genji, héros des coeurs sans jamais en être le bourreau, un parcours amoureux que l'on suit, fascinés, dans cet univers d'harmonie et de raffinement extrême, où musique et poésie, fleurs et parfums se répondent, pour nous livrer un récit plein de vie d'une rare beauté, l'acuité de l'analyse psychologique faisant oublier la distance dans le temps et l'espace, et malgré la différence des moeurs et des usages, on n'en retient qu'une impression de vérité universelle, ce qui rend cette oeuvre unique et vraiment extra-ordinaire.


Le récit ne s'arrête pas à la mort de Genji, son "fils" Kaoru prend le relais, hésitant toujours entre amour et dévotion, et l'histoire s'enrichit alors de drame et d'aventures, de rivalité aussi, dans un triangle amoureux qui m'a passionnée, me faisant refermer le livre avec le sentiment de quitter des êtres chers, qui durant quatre mois ou presque, m'avaient accompagnée jour après jour, faisant partie de ma vie.

Aurea
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le 11 sept. 2015

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Aurea

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