Un accident se produit dans un laboratoire secret de l’armée américaine, un homme dans un instinct de survie s’en échappe mais il est contaminé… Tels sont les prémices de l’histoire ainsi que le début de la fin.
Parallèlement, des personnages entrent en scène en différents lieu du pays. La vie suit son cours mais un point de non-retour est d’ores et déjà atteint.
Diversité des personnages, variété des lieux, les premiers signes d’un monde qui sombre apparaissent; l’agent tueur (bactériologique) est à l’œuvre. C’est foudroyant.
Quant à Stephen King il exprime là son talent et le lecteur est pris de vertige dans cette chute inexorable. C’est assez puissant.
Mais tandis que le fléau achève son œuvre de décimation, mon intérêt pour ce qui suit ne fera que décliner. Cette première partie est certes captivante mais elle contient déjà le piège dans lequel Stephen King va s’enfermer : « l’Homme Noir ».
Habituellement virtuose dans l’art de captiver le lecteur en l’immergeant dans une atmosphère terrifiante, ici il va se perdre en tentant de reproduire des schémas qui ne font pas recette dans ce cadre. Parce qu’il ne s’attache plus à décrire ce que ce monde nouveau, presque totalement dépeuplé, a d’angoissant et d’irréel pour des survivants que le hasard a épargné, le sentiment de peur qu’il était parvenu à initier va se dissiper et disparaître.
Comme si la fin du monde ne suffisait pas à capter le lecteur Stephen King semble s’être enfermé dans un scénario bancal dans lequel un personnage démoniaque devient l'attraction principale.
Sa force dans d’autres de ses romans est de parvenir à nous faire dévier de notre logique rationnelle, à ce que nous acceptions ce qui n’est pas concevable. Or dans Le Fléau, une fois la première partie achevée c’est inopérant.
Il y avait pourtant matière à entretenir un suspense efficace et une peur qui ne soit pas factice.
Les femmes enceintes pourront-elles mettre au monde des enfants viables et immunisés ? Le sujet est abordé mais ce qui est pourtant l’enjeu majeur de la survie de l’espèce humaine est balayée par l’urgence, la plus grande des peurs ; toujours « l’Homme Noir ».
De multiples questions d’ordre psychologique, philosophique (...) auraient pu se poser et ainsi donner au roman l'ampleur qui lui fait défaut.
Hormis des survivants errant dans un monde dépeuplé, que resterait-il après un tel bouleversement? Certainement des êtres hagards en proie à la sidération, envahis d'un sentiment d’irréalité car confrontés au brutal arrêt d'un sentiment de normalité dans le cours des évènements. Une poignée de survivants avec pour bagage la mémoire d’un passé révolu dont on peut imaginer qu'il devienne au fil du temps de plus en plus irréel. Bref, des personnages que l'on imagine hallucinés face au vide laissé par le fléau. Mais King expédie tout ça, pour se concentrer sur leurs esprits tantôt hantés par une force maléfique tantôt réconfortés par une force du Bien.
La notion de liberté quand tout est déconstruit ?
La morale et l’éthique sont-elles des notions intangibles dans toutes les circonstances, même les plus désespérées ?
Il y avait à mon sens la possibilité d’intégrer ce type de questionnement dans un suspense global, et largement matière à générer une angoisse continue sans éprouver le besoin d’aller s’empêtrer dans des discours mystiques et des métaphores bibliques artificielles.
La religion et le mysticisme deviennent de plus en plus au fil des pages l’essence même du roman sous l’inspiration de Mère Abigaël, bienfaitrice de 108 ans qui a don de préscience.
Le monde ne se résume plus alors qu’à deux communautés qui s'agglutinent en deux lieux du pays : une réunie autour de cette figure du Bien, l’autre rameutée autour de l’incarnation du Mal dans l’attente d’une confrontation prochaine.
Dépeinte sous les traits de « l’Homme Noir », la force maléfique paraît artificielle et à force de se personnifier le ridicule prend l’ascendant sur la peur qu’elle est sensée susciter.
Stephen King a le talent pour éviter l’écueil de la caricature, des clichés, des propos creux et manichéens (…), pourtant il s’y vautre de façon de plus en plus répétée au fil des pages. Rien ne fonctionne plus vraiment, même le style littéraire.
Jusqu’à la conclusion de ces 1500 pages qui n’est plus en mesure ni de nous satisfaire ni de réellement nous décevoir car la déception est le sentiment qui prédomine depuis bien avant. Et à l’approche du dénouement nous n’attendons plus grand-chose.

Dhaulagiri
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le 8 nov. 2014

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Arnaud.S

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