Brussolo est un auteur génial, mais dérangé. Chacun de ses récits comporte moult étrangetés, fantasmes obscurs, abominations de l’esprit et autres évènements qu’on ne pensait même pas imaginables avant de les voir prendre forme sous nos yeux ébahis et souvent horrifiés. Alors forcément, quand on se lance dans un Brussolo soit disant « pour enfant », il y a de quoi être perplexe. Et méfiant. A raison.

Je ne vais pas mentir, c’est avec Peggy Sue que j’ai découvert l’auteur. Néanmoins, j’étais très jeune à l’époque, et si je lis aujourd’hui très régulièrement de nouveaux Brussolo, il s’agit exclusivement de ses romans « normaux », si tant est qu’on puisse considérer qu’il a jamais écrit un seul roman « normal ». Anyway, ça faisait longtemps que j’avais envie de me refaire les Peggy Sue, afin de voir ce qu’ils valent vraiment, avec un regard plus mature et une meilleure connaissance de l’œuvre du bonhomme.

Ce premier Peggy Sue commence assez humblement, à la manière d’une histoire enfantine assez classique : la pauvre Peggy Sue est persécutée par les Invisibles, sorte de fantômes qu’elle seule peut voir. Ceux-ci lui font faire n’importe quoi, ainsi passe-t-elle pour folle auprès de ses camarades de classe, et effrontée auprès du corps enseignant et de sa famille (écrire en gros sur le tableau que la prof est amoureuse du directeur car sa main est guidée par les Invisibles n’aide pas à se faire bien voir, pour sûr). Ce qui est moins amusant, c’est qu’on apprend assez vite que les Invisibles sont en fait une véritable plaie pour l’humanité : lorsqu’on entend à la TV qu’on pauvre gus a descendu sa famille à coups de shotgun avant de retourner l’arme contre lui, ce n’est en fait pas l’œuvre d’un fou, mais simplement d’un pauvre type ne contrôlant plus ses mouvements, dirigé qu’il est par les Invisibles. Comme une marionnette.

Malheureusement pour eux, les Invisibles ne peuvent pas se débarrasser de Peggy aussi facilement, aussi directement. Pourtant, ils la détestent plus que quiconque, elle qui peut les voir. Aussi passent-t-ils leur temps à tenter de l’amener au suicide ou à essayer de la rendre aveugle. C’est déjà moins joyeux.

Bref, après s’être fait virer une énième fois de son nouveau bahut, Peggy reprend la route avec sa mère et sa sœur. Les pneus crèvent à Point Bluff, ce qui n’a rien d’un hasard : cette petite bourgade pommée est le nouveau terrain de jeu des Invisibles : ils vont en faire un huis-clos terrifiant.

Tout commence par l’apparition du Soleil Bleu au-dessus de la ville, un astre dont on ne sait rien, mais dont la simple exposition aux rayons solaires rend… plus intelligent ! Une aubaine pour les habitants de Point Bluff, qui n’ont jamais eu l’occasion de briller en société. Alors que les gens deviennent de plus en plus fous, obnubilés par le Soleil Bleu, les Invisibles barrent tous les accès au village, tuant quiconque essaye de s’en échapper. Très vite, le maire et le sheriff se rendent compte des dérives déclenchées par le Soleil et interdisent aux habitants de s’y exposer. Tout le monde se réfugie alors dans un gymnase municipal le jour, et travaille la nuit. Mais dans tout ce remue-méninge, il y a un élément que tout le monde a oublié, une chose à laquelle personne n’a pensé : les animaux qui, vivant en extérieur, sont constamment irradiés par le soleil.

Dans une atmosphère naïve (enfantine ?) et pourtant glauque au possible, Brussolo tisse un piège magistral, dont les éléments se révèlent un par un, comme autant de pièces prises par l’ennemi avant l’inévitable échec et mat.
A la fois facile à lire et adapté à un public jeune de part certaines thématiques abordées, Le Jour du Chien Bleu est en réalité une œuvre sombre et magistrale, qui risque bien d’en traumatiser plus d’un. Brussolo ne fait aucune concession, et va jusqu’au bout de ses idées, quelles qu’elles soient : jamais son imaginaire n’est bridé au cours du récit.
Un Brussolo, un vrai de vrai. Tout le talent de l’auteur, toute sa magie noire et son imagination sans limite, résumées au sein d’un seul livre, accessible à tous et qui sera pourtant lu et perçu différemment par chacun. Un petit chef d’œuvre.
VGM
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le 18 déc. 2013

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