Le journal d’une femme de chambre est un roman d’Octave Mirbeau publié en 1900 nous plonge dans le journal fictif d’une femme de chambre prétendument tenu au cours de la période de révision du procès Dreyfus. Dans chaque entrée datée, Célestine nous raconte son quotidien de domestique de son arrivée chez les Lanlaire à son départ pour Cherbourg. Quotidien composé des incessantes brimades et mesquineries de Madame, des maladresses de Monsieur, de la gouaillerie de la cuisinière Marianne et du mutisme du jardinier cocher Joseph.
Le récit trouvé par un auteur est un procédé commun de la littérature qui permet d’aborder la société sous un angle naturaliste et rendre réaliste le terrifiant portrait de la haute société que Célestine nous dépeint, « Je ne suis pas vieille, pourtant, mais j’en ai vu des choses, de près… J’en ai vu des gens tout nus… Et j’ai reniflé l’odeur de leur linge, de leur peau, de leur âme… Malgré les parfums, ça ne sent pas bon… Tout ce qu’un intérieur respecté, tout ce qu’une famille honnête peuvent cacher de saletés, de vices honteux, de crimes bas, sous l’apparence de la vertu… » (Chapitre V).
Chaque chapitre est entrecoupé du témoignage d’anciennes maisons où Céline a travaillé. Son récit présente l’aspect décousu d’un empilement de témoignages s’entrecroisant. Certains aspects du journal trahissent son caractère factice avec l’utilisation de l’imparfait du subjonctif peu crédible chez une domestique, apostrophe à un potentiel lecteur, point de vue interne chez d’autres personnages. De cette manière, Mirbeau nous fait comprendre que le diaire n’est qu’un prétexte pour illustrer sa critique de la société française.
L’aspect le plus prégnant du roman est la satire du monde bourgeois du XIX siècle.
Les bourgeois nous sont dépeints comme arrogants, sûrs de leur supériorité sur le bas peuple qu’ils méprisent, « — Une femme de chambre, comme moi, illustre maître. M. Bourget eut une grimace supérieure, une moue de dédain. Ah sapristi ! il n’aime pas les pauvres. – Je ne m’occupe pas de ces âmes-là, dit-il… Ce sont de trop petites âmes… Ce ne sont même pas des âmes… Elles ne sont pas du ressort de ma psychologie… » (Chapitre 5).
Ce mépris s’étend à leurs domestiques perçus comme des bêtes de somme, corvéables à merci dont ils n’auraient à souffrir qu’ils puissent avoir une vie intérieure, intime (avoir des amants, des enfants). Ce qui nous frappe en premier est cette manie de la plupart des maîtres de la diariste de lui donner un prénom d’emprunt, simple, court et fonctionnel. Dépossession de ce qu’il y a de plus intime, « — Célestine… fit-il… Célestine ? … Diable ! … Joli nom, je ne prétends pas le contraire… mais trop long, mon enfant, beaucoup trop long… Je vous appellerai Marie {…} Et puis toutes mes femmes de chambre, je les ai appelées Marie. C’est une habitude à laquelle je serais désolé de renoncer… Je préférerais renoncer à la personne… » (Chapitre I).
Un serviteur sert et un employeur commande. La maladie n’est pas admissible, « — Si vous n’avez rien, reprit Madame, pourquoi ces manières-là ?... Je n’aime pas qu’on me fasse des figures d’enterrement… Vous avez un service très désagréable… Malgré ma douleur, je l’aurais giflée… » (Chapitre IV) et les tragédies de la vie ne comptent pas. La mort de la mère de Célestine ne suscitera aucune compassion de la part de Madame, « — Ma mère, ma pauvre mère est morte !... Alors Madame, de sa voix ordinaire : — C’est un malheur… je n’y peux rien… En tout cas, il ne faut pas que l’ouvrage en souffre… » (Chapitre V).
De plus, cette prétendue supériorité morale est un nuage de fumée qui se dissipe lorsqu’on pénètre dans l’intimité des nantis. Le vice et la dépravation morale se retrouvent confondus avec les œuvres de charité et façades de bonté. Prenons l’exemple de M. Xavier, dont la mère règle son comportement sur les attentions sexuelles que prête son fils à la femme de chambre, femme de chambre qu’elle jettera sans vergogne dès qu’il se sera lassé d’elle. D’un côté ces grandes dames prêchent la vertu, la sobriété amoureuse et de l’autre côté collectionnent les gravures pornographiques et les amants. La touche la plus ridicule de cette bonne société est son snobisme, si répandu dans les salons de la Belle Époque, « Parmi les ridicules si durement flagellés par lui, Charrigaud avait surtout choisi le ridicule du snobisme. » (Chapitre X).
La satire dépeinte ne s’arrête pas aux bourgeois, mais également aux domestiques. Les domestiques sont tous aussi pourris que leurs maîtres et Céline reproche aux autres serviteurs ce qu’elle fait elle-même. Elle se veut satirique sur le monde qu’elle portraitiste, mais elle en partage les vicissitudes. Si elle dénonce le comportement sexuel inapproprié de ses maîtres, elle a cependant cédé aux avances de plusieurs d’entre eux dont le suffisant Mr Xavier. Célestine décrit bien l’état du domestique : « Un domestique, ce n’est pas un être normal, un être social… {…} Du peuple qu’il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve… De la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux, sans avoir pu acquérir les moyens de les satisfaire… » (Chapitre VIII).
Le personnage de Célestine est attachant, mais empreint de nombreux défauts. Elle partage l’antisémitisme ambiant, « Et moi aussi, bien sûr, je suis pour l’armée, pour la patrie, pour la religion et contre les juifs… » (Chapitre VI).
Elle a intériorisé les comportements des classes sociales, se plaignant de la mesquinerie et méchanceté des bourgeois, mais éprouve du dédain pour eux s’ils ne les expriment pas, « A la place des maîtres, moi, j’aurais eu honte de vivre dans un intérieur pareillement torchonné. Mais ils ne savaient pas commander, et, timides, redoutant les scènes, ils n’osaient jamais rien dire » (Chapitre XVI).
On retrouve chez elle quelques élans proudhoniens, considérant que la propriété c’est le vol, « Le vol ?... De quelque côté que l’on se retourne, on n’aperçoit partout que du vol… Naturellement, ce sont toujours ceux qui n’ont rien qui sont le plus volés et volés par ceux qui ont tout… » (Chapitre XV).
Ce témoignage verse régulièrement dans la comédie lorsque Célestine nous gratifie d’une de ses saillies « — Ma fille, vous savez que cette lampe coûte très cher, et qu’on ne peut la réparer qu’en Angleterre. Ayez-en soin, comme de la prunelle de vos yeux… {…} — Hé ! dis donc, la petite mère, et ton pot de chambre… est-ce qu’il coûte cher ? … Et l’envoie-t-on à Londres quand il est fêlé ? » (Chapitre I), mais également dans de purs instants d’horreur comme avec la mort brutale du furet du voisin des Lanlaire.
Pour conclure ce roman est une occasion parfaite pour Mirbeau de nous dépeindre de l’intérieur les vicissitudes de la société bourgeoise de la Belle Époque avec un style mordant.