Patricia a le pouvoir sur les bêtes ! c'est ce que pense son père. Il se trompe, elle n'a précisément pas de pouvoir sur les bêtes et c'est pourquoi les bêtes nourrissent avec elle un lien fraternel qui échappe à la plupart des hommes qui ne voient les rapports à la nature et à ses différentes formes de vie que sous le jour de l'appropriation, de la possession… de la domination.
La magie dans ce très beau roman de Kessel, tient au lien d'amitié indéfectible qui unit une petite fille, Patricia, au plus grand des fauves de la brousse, craint de l'ensemble des animaux qui foulent ses terres, recherché par le chasseur blanc qui veut en faire le plus glorieux de ses trophées, victime obligée du rite de passage pour tout jeune Massaï qui prétend au rang d'homme digne de se marier.
Fantastique histoire à laquelle nulle ne peut croire. Invraisemblable beauté d'une proximité des extrêmes, si l'on en croit les représentations dominantes, le lion est riche de nombreux de thèmes : celui de la bonne éducation, celui des rapports entre la « civilisation » et les cultures, celui de l'acculturation, celui de l'exploitation des indigènes par les blancs conquérants, et encore de l'exploitation de la nature qu'il faut désormais protéger de l'avidité de certains par la création de réserves protégées, puisque la bêtise veut que la beauté de ces plaines et de tous leurs habitants ne permettent pas de saisir l'importance qu'on les respecte.
Mais, disait Kessel, « l'immense part de vérité » de son roman c'est « la coexistence de la bête et de l'homme ». Et j'ai envie de penser que, ce disant, il ne parle pas seulement de la cohabitation et même du lien qui peut se développer entre l'homme et l'animal sauvage, mais aussi de la part animal en tout homme et de la capacité en chaque animal, de dépasser son instinct. Kessel disait d'ailleurs lui-même que, sans avoir été témoin d'un cas ressemblant, il en avait reçu le récit, lors de son séjour dans une réserve au Kenya.
C'est là, pour moi, toute la beauté de ce roman : souligner ce qui nous rassemble bien plus qu'on ne le pense, animaux et humains, ce qui nous lie malgré tout ce qui nous sépare, et que les représentations élaborées dans les récits millénaires n'ont souvent voulu que souligner : notre commune nature, cette double appartenance à une espèce mais aussi au vivant. Ce fond commun qui devrait nous faire comprendre l'importance de partager la maison qui nous abrite et qui nous nourrit avec la même générosité.