Treize nouvelles composent « Le livre de sable », un recueil de 1975 traduit en français en 1978.
Les récits, même sur des thèmes très classiques, se déploient avec Borges comme les ailes d'un animal mythique jamais contemplé jusqu'alors, avec le croisement de lieux et d’histoires des continents américains et européens - ici souvent scandinaves ou irlandaises – motifs des questions fondamentales du temps, du fini et de l’infini, de la mort et de l’immortalité, de la réalité et du rêve.

Première nouvelle de ce recueil, « L’autre » est ainsi un récit sur le thème classique du double. Borges, âgé de soixante-dix ans, rencontre son double, un alter ego plus jeune que lui car il a à peine vingt ans, sur un banc au bord d’un fleuve qui s’écoule comme le temps.

La magie opère dans « There are more things », lorsque l’orfèvre Borges nous abandonne au final, suspendus dans l’angoisse. Un homme, poussé par la curiosité, entre dans l’ancienne maison de son oncle, La Maison Rouge, rachetée par un personnage étrange, et maintenant entourée d’une aura de peur et de mystère.
« Mes pieds touchaient l’avant-dernier barreau de l’échelle quand j’entendis que montait par la rampe quelque chose de pesant, de lent et de multiple. La curiosité l’emporta sur la peur et je ne fermai pas les yeux. »

Dans « La nuit des dons », un groupe parle de la question de l’ignorance et de la connaissance ; un vieil homme prend alors la parole et conte l’histoire d’une nuit, en avril 1874, alors qu’il allait avoir treize ans. Un des péons, un garçon plus âgé, l’initie alors aux choses de la campagne. Ce soir-là, il l’emmène avec lui pour se distraire au village. Là, une femme, appelée La Captive, raconte l’histoire de l’attaque des Indiens.
« On aurait dit que tout le désert s’était mis à marcher. A travers les barreaux de fer de la grille nous avons vu le nuage de poussière avant de voir les Indiens. Ils venaient nous attaquer. »

Dans « Le miroir et le masque », le roi demande à son poète de composer une œuvre à sa gloire qui le rendra immortel.
« Du temps de ma jeunesse, dit le Roi, j’ai navigué vers le Ponant. Dans une île, j’ai vu des lévriers d’argent qui mettaient à mort des sangliers d’or. Dans une autre, nous nous sommes nourris du seul parfum des pommes enchantées. Dans une autre, j’ai vu des murailles de feu. Dans la plus lointaine de toutes un fleuve passant sous des voûtes traversait le ciel et ses eaux étaient sillonnées de poissons et de bateaux. Ce sont là des choses merveilleuses, mais on ne peut les comparer à ton poème, qui en quelque sorte les contient toutes. Quel sortilège te l’inspira ? »

Souvent, Borges nous donne la sensation profonde et diffuse de toucher à la profondeur essentielle de l’existence et du questionnement de l’homme, comme dans UNDR, l’histoire d’un homme à la recherche d’hommes dont la poésie séculaire se réduit à un seul mot.
« Je suis de la race des Skalds - dès que j’ai su que la poésie des Urniens se réduisait à un seul mot je me suis mis à leur recherche et j’ai suivi la route qui devait me mener jusqu’à leur pays. Non sans peine et fatigue, j’y suis parvenu au bout d’une année. Il faisait nuit ; je remarquai que les hommes que je croisais en chemin me regardaient de façon étrange et certains me lancèrent même des pierres. J’aperçus le flamboiement d’une forge et entrai. »

Borges est un magicien. Son texte coule comme un fleuve de sable et laisse au fil des années une trace, un pli en nous, même sans souvenir précis des mots et des idées qui en forment le courant.
MarianneL
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le 27 juil. 2012

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le 27 juil. 2012

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