Il y a des livres parfois trompeurs, ou que l'on aborde mal, et qui surprennent, en révélant une finesse et une qualité de narration inattendues – à l'opposé de là où on pouvait l'escompter.


À lire trop rapidement la quatrième de couverture, Le Livre des crânes est un road-trip, au fil de l'asphalte américain, suivant quatre étudiants d'une prestigieuse université, à la poursuite d'une chimère : la vie éternelle, rien de moins.


Ce qui se révèle n'est pas tant le récit d'un voyage que le compte-rendu de ses effets. Car sur les quatre, c'est la règle, deux mourront pour que deux puissent vivre. Et il s'agit alors d'expliquer le pourquoi et le comment, pour chacun, de leur départ dans cette odyssée si personnelle. Ils vont devoir se retrouver en eux-mêmes, par leur relation avec la mort, avec Dieu, avec les autres : découvrir leur propre vérité, qui peut par moment être insoutenable.


Silverberg est manifestement un narrateur intelligent. Il caractérise d'abord ses personnages suivant des stéréotypes : la tantouze, poète romantique rêvant, peut-être par jeu, de suicide ; le Juif, l'intellectuel bouffi de son cynisme et pourtant emmène le groupe dans cette aventure ; le WASP, assuré de sa valeur et de son destin tout tracé ; le fermier, le self-made-man, au physique de dieu grec et à l'ambition à l'avenant ; et puis il les creuse, les détourne, pour en créer de vrais personnages, vivants, présents, pulsant par leurs interactions une pleine humanité. Il y a une vraie sensibilité dans la narration, qui alterne le discours interne des quatre jeunes hommes, dévoilant les malentendus et le tissu de relations qui les relie aussi bien qu'il les sépare.
Le présent de leur voyage éclaire leur passé, les forçant à se souvenir, et retrouver la trace de leurs traumatismes ; justifier leur présence revient à, en renouvelant leur discours sur leurs propres souvenirs et hontes, se recréer : c'est un récit d'apprentissage, car, confrontés à leur identité, ils en sont forcés de grandir.


Le récit est simple, essentiellement intérieur, et pourtant mouvementé, agité : il y a de vraies mutations à l'œuvre, des pulsions qui leur agite le corps aussi bien que l'âme, jusqu'à cette conclusion, incroyable, inattendue et pourtant inévitable.

Penro
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le 21 mai 2014

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