C’est un récit autobiographique qui sonne comme un pamphlet contre la finance casino. Jordan Belfort raconte dans Le Loup de Wall Street toutes les exubérances d’un microcosme gorgé de fric et de vanité. Une description grandiose qui poussera Martin Scorsese à porter le livre sur grand écran, avec le succès que l’on sait.


« Quiconque affectait un comportement normal n’était qu’un rabat-joie qui cherchait à gâcher le plaisir des autres. » Quel regard plus lucide que celui-ci quand il s’agit d’évoquer ces temples de la spéculation qui fleurissent aux quatre coins de Wall Street ? Jordan Belfort, financier exubérant et désinhibé dans toute sa splendeur, décrit sans détour la folie inexpiable à l’oeuvre chez Stratton Oakmont, et par extension dans tout le microcosme nauséabond et ordurier de la finance américaine. Son autobiographie porte la démesure en bandoulière : on avale les cachetons comme un bébé le ferait avec sa panade à la banane ; on se jette sur les putes comme des rats sur une croûte de fromage ; on ventriloque bêtement, sourire aux lèvres, les discours préfabriqués du golden boy sacralisé.


Le Loup de Wall Street n’y va pas par quatre chemins : ses portraits, élogieux ou irrévérencieux, sont rédigés à l’encre de l’indécence ; ses protagonistes, constellation de traders illuminés, ont l’air moins avenant qu’une vieille moquette d’hospice ; les grandes compagnies financières s’y déploient dans une opacité rappelant vaguement les systèmes d’ordre para-soviétiques ; même Chronos, un peu las, semble s’y plier aux volontés du roi Dollar… Bovin amorphe et baveux après une surdose, enfant roucoulant quand il s’agit de convaincre sa « Duchesse » d’écarter les cuisses ou de desserrer les mâchoires, Jordan Belfort ne s’épargne pas. Au contraire, il tient des comptes d’apothicaire dès lors qu’il évoque ses obsessions sexuelles, ses innombrables accoutumances ou ses bons coups boursiers, fumeux et souvent parfaitement illégaux, se chiffrant en (dizaines de) millions de dollars.


Des excursions récréatives en Suisse aux postes de police américains, il n’y a parfois qu’un pas, que certains franchissent à cloche-pied. « Le Loup » ne raconte pas seulement l’outrance d’une existence dorée, abritée dans des châteaux aux mille valets, bercée par le ronronnement d’une Ferrari Testarossa ou les vibrations d’un yacht ridiculement surdimensionné. Il épingle aussi la perdition qui vous attend de pied ferme, celle de la vie de famille brisée à force d’usure ou celle liée à une justice qui soudain se dresse sur votre route et vous demande de rendre des comptes, pas falsifiés ceux-là. C’est l’autre face de cette autobiographie-fleuve (plus de 750 pages) : celui qui peut taper 12,5 millions de dollars en trois insignifiantes minutes, résultat d’une introduction en bourse fructueuse, est sans cesse en butte à ses propres démons : la drogue, le sexe, la fraude, les manipulations… Jusqu’à migrer vers un centre de désintoxication… ou la prison.


Article publié sur Le Mag du Ciné.

Cultural_Mind
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le 26 août 2019

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