Le nœud de vipère, c’est la confession épistolaire d’un vieil homme, âgé de 68 ans seulement mais de santé fragile grevant fortement son capital vital. Lettre destinée à sa femme qui partage sa vie de profonde austérité depuis quatre décennies, à cheval sur le XIXe et le XXe siècle.

Cet homme – fils de grands propriétaires terriens, riches paysans, viticulteurs du sud-ouest de la France – voit autour de lui ses enfants et petits-enfants qui l’observent, scrutent le moindre de ses gestes, attendant sa mort pour hériter de l’immense fortune accumulée aux prix d’une avarice absolue. Une meute de loups affamés attendant la curée qui ne saurait plus tarder. Ambiance délétère d’une famille âpre au gain qui rappelle en tout point celle campée par Zola dans son roman « La Terre ».

Dans sa lettre, Louis revient sur sa jeunesse, sa mère qui l’aimait de façon excessive et le surprotégeait, ses études durant lesquelles il était un jeune homme hautain, méprisant et persuadé d’être détesté de tous. Sur sa jeune épousée qui le libère tout d’abord de l’influence maternelle suffocante. Sur la révélation que sa femme lui fit sur l’oreiller et qu’il aurait pu ignorer ou pardonner mais qui le replongea plus profondément encore dans ses anciens démons : jalousie destructrice, haine des autres et de lui-même.

De son ton acerbe qui a toujours été le sien, Louis accuse sa femme (Isa) de l’avoir ignoré sa vie durant, de ne pas l’avoir aimé tout en reconnaissant de ne pas non plus avoir fait le moindre pas en sa direction. Mais, écrit-il, son aversion s’est estompée avec les années. L’argent qu’il a chéri et entassé (à la manière d’un collectionneur) n’est pas tout. Il avoue aujourd’hui qu’au fond de lui-même d’autres sentiments lui sont apparus au moment où il a cessé de les ignorer : l’amour qu’il a toujours éprouvé pour sa femme, pour ses enfants malgré leurs défauts que peut expliquer la mauvaise influence qu’il a eu sur eux.

Une confession très dure d’un homme bourru et habitué à haïr. Des personnages sombres, écorchés par une vie de peine qu’ils ont orchestrée eux-mêmes. Frustration immense découlant de l’égoïsme exacerbé de chacun. Sentiment de gâchis. Ce vieillard, le lecteur le déteste et le plaint tour à tour. Il est à la fois un homme odieux ayant torturé les siens durant toute sa vie et un patriarche attachant et pitoyable qui regrette d’avoir perdu tant de temps pour connaître et aimer sa famille.

Un livre, une ambiance que j’ai immédiatement adorés. Ce long monologue d’un homme détruit et qui s’est montré profondément mauvais pour les siens m’a rappelé un autre grand livre (méconnu celui-ci) : « Via Mala » de John Knittel (http://www.senscritique.com/livre/Via_Mala/critique/13941569). Une écriture magnifique, d’une force bouleversante. Un texte d’une grande noirceur et d’une grande beauté dont il m’était difficile d’interrompre la lecture.

Superbe : un réel coup de cœur !
BibliOrnitho
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le 23 mai 2014

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